LI LONG TSI Interview du 23 mars 1983 de Li Long-tsi (Yi Yongje) Né le 3 juillet 1896 (année du singe, année marquée sur le passeport: 1898) Perdu mère à 3 ans Elevé par un grand-oncle (frère cadet de son grand-père) jusqu'à 10-11 ans. Père parti en Sibérie, bateau pris à W\˜onsan. Huit ans après le père est revenu (11 ans). Arrivé en France le 14 décembre 1920. Marié le 7 mai 1936 à Madeleine Koechlin Décédé le 13 décembre 1986 à l'hôpital Paris XIIIe. A.G. _ Parlez-moi de votre enfance. Vous avez perdu votre mère à l'âge de trois ans, n'est-ce pas ? L.L. _ Je n'aime pas raconter ma vie, mais c'est la réalité. Je suis d'une famille, des plus pauvres que l'on puisse imaginer de la Corée. C'est la conséquence des malheurs qui sont arrivés à mon grand-père. Quand mon grand-père avait 14 ans, il y a eu une épidémie de peste. Situation géographique Je suis originaire de la ville de Hamh\˜ung, située dans l'unique plaine qui se trouve sur la côte Nord-est. Notre village est situé à peu près au milieu du district de Hamh\˜ung qui est la capitale de la province du Hamgy\˜ong du Sud. Le village avait plusieurs noms, évidemment, selon la tradition purement coréenne S\˜omni (s\˜om, l'île en coréen et i, la commune) et comme les Coréens ont la manie d'utiliser des expressions en utilisant les caractères chinois, c'est devenu Chungsangni (chung, milieu; sang, haut; i, commune). C'est à dire la commune qui se trouve au haut du milieu par rapport à la ville là où se trouvait installé le gouverneur de la province (Kwanch'alsa). Dans cette plaine, il y a trois rivières. L'une, la plus importante, coule juste à l'ouest de la ville de Hamh\˜ung. Elle prend sa source près de la frontière entre la province du P'y\˜ongan et du Hamgy\˜ong. Il y a là la chaîne des Monts Nangnim qui se trouve à une cinquantaine de mètres de la maison où j'ai vécu. Un peu plus à l'ouest coule une autre rivière. C'est à peu près la seule plaine de riziculture de la région du Nord-est. Lignage Le village regroupait un peu moins d'une centaine de maisons, qui appartenaient presque toutes à même la famille [patrilignage], à la même souche, celle de Yi. Les Yi de Ch'\˜onju, la famille royale du y\˜onnan, dont l'origine se trouve dans la province du Hwanghae, à l'Ouest. Je ne sais pas dans quelle mesure c'est vrai ou non. A l'âge de 15-16 ans, j'ai participé à la réédition du registre du lignage. *[Ce devait être au début des années 10. Il a dû mettre à jour les dates de naissances des registres des gens de sa famille pour les besoins de l'administration japonaise. C'est ainsi qu'il a mis qu'il était né en 1898. Selon son épouse, il paraît qu'un jour en bêchant son champ, il s'est rendu compte qu'il s'était trompé de deux ans et qu'il avait rejeuni tous les gens de deux ans, car il s'était rappelé qu'il était né l'année du singe (1896). Le fait est courant à l'époque, cf. la biographie de Hong Insun qui a deux ou trois années de naissance.] C'est pour cela que je m'en rappelle un peu. Notre ancêtre viendrait de la Chine. Evidemment, puisque tous le Coréens se sont donnés un nom chinois. Mais cela n'est pas impossible non plus. Dans la province du Hamgy\˜ong, les Yi ne sont pas nombreux. Nos ancêtres, les Yi du y\˜onnan, se sont installés à Hamh\˜ung. C'était une région peu peuplée. La politique royale exilait les gens dans les régions peu habitées, c'était l'une des rares mesures royales qui m'apparaît valable. A part deux ou trois familles qui sont venus par alliance, nous étions tous du même clan dans le village, alors que les autres villages autour étaient composés de plusieurs lignages. Ce n'est pas pour me vanter de mon origine, mais enfin, dans l'ancien régime ma famille comptait. Quand un gouverneur arrivait, souvent on faisait appel à la branche aînée de ma famille. Elle était très connue. Autonomie villageoise Quand j'avais 11 ou 12 ans, j'ai assisté à une chose invraisemblable. Un policier est arrivé dans le village. Il essayait d'arrêter les gens qui jouaient aux cartes. Finalement, les joueurs se sont mis à le chasser. Il ne pouvait pas entrer dans notre commune. On se considérait comme une commune honorable. La peste Le grand-père de mon grand-père était un lettré connu de la région. Il ne connaissait que les classiques chinois et composait des poésies et des dissertations en chinois, mais il était alcoolique, au grand regret de mon grand-père. Ce grand lettré n'a jamais demandé à mon grand-père d'apprendre quoi que ce soit. Etant donné les coutumes coréennes, mon grand-père ne pouvait pas avoir de haine pour son grand-père. Il ne pouvait pas exprimer son ressentiment contre lui, mais il racontait cela pendant toute mon enfance. Quand il a eu 14 ans, une épidémie de peste s'est déclaré. Le grand-père est allé en ville pour l'examen qu'on passait avant d'aller passer l'examen à Séoul. Les lettrés se réunissaient et s'exerçaient. J'ai vu cela un peu dans ma première enfance. Souvent, les fils de familles aisées faisaient écrire par d'autres lettrés. Probablement, mon arrière-grand-père gagnait quelques sous comme cela, puis, avec cetargent, il allait boire. Il était donc allé en ville et au moment de la peste pour l'examen. Son neveu, qui était à ce moment-là le collaborateur le plus immédiat du gouverneur de la province, lui a dit: "Mon oncle, ce soir, après l'examen rentrez tout de suite à la maison. N'entrez surtout pas dans un quelconque cabaret. Pensez-vous. En sortant, il est entré dans un cabaret. Dans une pièce, on était entrain d'habiller un mort et il a bu là. Au retour, il s'est couché et presque la totalité de la famille a été décimée. Le père de mon grand-père, après s'être occupé de la naissance de mon grand-oncle, celui qui m'a élevé s'est couché et est mort lui aussi. Ce bébé-là a survécu. C'est lui qui m'a élevé pendant huit ans. Mon grand-père racontait que son oncle, celui qui avait conseillé au trisaïeul de ne pas boire, était venu instamment de la ville (située à 6 km du village) et a dit [au sujet de mon grand-père qui était considéré comme mort lui aussi]: "On ne l'enterrera pas avant deux jours". Je ne me rappelle plus très bien. C'était pas possible que la famille ait des croyances aussi dépourvues de fondement, mais [ils pensaient que] ce n'était pas possible qu'une famille s'éteigne comme cela. Effectivement, mon grand-père est revenu à la vie. Il paraît que ça arrive quelques fois. Au bout de quelques jours, il vivait. Les deux frères ont survécu. Mon grand-père avait un oncle qui était un véritable Harpagon. Il est venu dire qu'il s'occupait des deux frères avec l'idée de les exploiter Mon grand-père n'avait aucune autre possibilité de vivre autrement. Cet oncle vivait à une trentaine de kilomètres, dans les montagnes, en cultivant le millet. De 14 ans jusqu'à 20 ans passées, mon grand-père a vécu là-bas. Il travaillait très durement chez son oncle. L'oncle avait accaparé tous les écrits du grand-père lettré. Mon grand-père avait pu récupérer, je ne sais de quelle manière, la copie argent, il allait boire. Il était donc allé en ville et au moment de la peste pour l'examen. Son neveu, qui était à ce moment-là le collaborateur le plus immédiat du gouverneur de la province, lui a dit: "Mon oncle, ce soir, après l'examen rentrez tout de suite à la maison. N'entrez surtout pas dans un quelconque cabaret. Pensez-vous. En sortant, il est entré dans un cabaret. Dans une pièce, on était entrain d'habiller un mort et il a bu là. Au retour, il s'est couché et presque la totalité de la famille a été décimée. Le père de mon grand-père, après s'être occupé de la naissance de mon grand-oncle, celui qui m'a élevé s'est couché et est mort lui aussi. Ce bébé-là a survécu. C'est lui qui m'a élevé pendant huit ans. Mon grand-père racontait que son oncle, celui qui avait conseillé au trisaïeul de ne pas boire, était venu instamment de la ville (située à 6 km du village) et a dit [au sujet de mon grand-père qui était considéré comme mort lui aussi]: "On ne l'enterrera pas avant deux jours". Je ne me rappelle plus très bien. C'était pas possible que la famille ait des croyances aussi dépourvues de fondement, mais [ils pensaient que] ce n'était pas possible qu'une famille s'éteigne comme cela. Effectivement, mon grand-père est revenu à la vie. Il paraît que ça arrive quelques fois. Au bout de quelques jours, il vivait. Les deux frères ont survécu. Mon grand-père avait un oncle qui était un véritable Harpagon. Il est venu dire qu'il s'occupait des deux frères avec l'idée de les exploiter Mon grand-père n'avait aucune autre possibilité de vivre autrement. Cet oncle vivait à une trentaine de kilomètres, dans les montagnes, en cultivant le millet. De 14 ans jusqu'à 20 ans passées, mon grand-père a vécu là-bas. Il travaillait très durement chez son oncle. L'oncle avait accaparé tous les écrits du grand-père lettré. Mon grand-père avait pu récupérer, je ne sais de quelle manière, la copie composée par mon arrière-arrière-grand-père lors de l'examen passé à Séoul. Il était attaché par une sorte de mysticisme à ce grimoire. Le tigre Il avait 16 ou 17 ans et il était allé dans un creux de colline, biner un champ de riz. Un tigre est venu s'installer en face de lui et s'est mis à hurler. Il était terrorisé. Il a fini par se lever et il est rentré à la maison en pleurant. L'oncle lui a demandé pourquoi il revenait: _ "Il y a un tigre. _ Comment il y a un tigre ! Il n'y a jamais de tigre là. Paresseux, c'est parce que tu n'as pas envie de travailler. S'il y avait vraiment un tigre qu'est-ce qu'est devenue la vache qui était avec toi ? Alors mon grand-père est parti en pleurant parce qu'il avait plus peur de son oncle que du tigre. Un vieillard voisin lui a demandé pourquoi il pleurait. Il a raconté sa mésaventure. Le voisin lui a dit: "Retourne tranquillement. Si le tigre voulait te faire du mal, tu ne serais plus là. Ça doit être une tigresse qui a fait son petit dans les parages. Quand une tigresse fait un petit, pendant toute l'année tout le voisinage est tranquille. Elle ne prendra pas le moindre chien. A vingt passé, il a pu se marier. Il a épousé une Kim. Je ne l'ai jamais vue. Il avait évidemment le droit de se séparer de son oncle et de fonder une famille. Il n'avait pas envie de vivre près de son oncle. Il est allé dans une autre province, celle du P'y\˜ongan du Sud, de l'autre côté de la chaîne des montagnes qui sépare les deux provinces. Dans mon enfance on cultivait les pommes de terres, l'avoine (kwiri, c'est l'avoine dont on fait les flocons d'avoine) et tout au plus le maïs. Dans les montagnes, on ne pouvait pas cultiver de millet. Mon grand-père a défriché. Dans mon enfance aussi, on allait dans la montagne, on brûlait (culture sur brûlis) une partie du bois et on cultivait des pommes de terre. Ils ont cultivé des pommes de terre et de l'avoine. Pendant plus de dix ans probablement, ils ont vécu tranquillement-là. Ils pouvaient manger suffisamment. Un jour de la 7e lune du calendrier lunaire, il me semble le 14. Il pleuvait à torrent. Mon grand-père qui avait pas mal d'expérience pensait qu'ils ne pouvaient plus rester à la maison. Il avait monté une espèce de chalet avec des rondins. On cultivait aussi du chanvre indien pour le textile. C'était une région réputée pour la culture du chanvre indien. Chaque famille cultivait son carré de chanvre. Au moment de la récolte, la famille de la plaine venait participer à la récolte et repartait avec une certaine quantité de chanvre pour faire des tissus pour la famille. Il y avait donc quatre autres personnes qui étaient là pour la récolte de chanvre. C'était la nuit, ils jouaient aux cartes dans leur chambre. Mon grand-père est allé leur dire: "Sauvons-nous, il y a du danger." Mais ils sont restés. Mon grand-père sortit de la maison avec mon père. Comme c'est la coutume coréenne, ma mère marchait derrière. Moi j'étais né, j'avais trois ans. J'étais dans les bras de ma mère, enveloppé. Nous nous sommes réfugiés sur la colline voisine, sur la hauteur. Les autres étaient restés à la maison. Ma mère pensa qu'elle avait oublié quelque chose d'important à la maison. Elle y est retournée. Elle m'a jeté dans les bras de mon père. Juste à ce moment-là, le torrent a retourné toute la maison. Malencontreusement, deux voisins ont pensé que nous étions en danger et ils ont essayé de voir s'il était possible de nous aider, nous sauver. Ils ont été emportés par le torrent. Sept personnes ont trouvé la mort. A la suite de ça, évidemment, mon père n'avait plus la possibilite de vivre et puis, d'autre part, il y avait les reproches des parents de ceux qui avaient essayé de nous sauver. On disait que j'avais des yeux différents des autres coréens. Mon oncle me disait que c'était à cause de cela que j'avais de grands yeux. Pendant des journées, les parents sont venus adresser des reproches à mon grand-père et à mon père à cause de la perte de leurs enfants. Heureusement pour moi, la famille de ma mère n'habitait pas très loin de là. J'ai été recueilli par mes grands-parents maternels. Mon grand-père a été obligé de partir de là. Ensuite, mon père est parti en Sibérie. J'y suis resté même pas un an parce que selon la coutume, ce n'était pas aux grands-parents maternels de s'occuper de moi [fils de leur fille]. Mon grand-oncle qui était pauvre mais qui vivait dans le village traditionnel de ma famille est venu me chercher. Trois souvenirs d'enfance Je me rappelle trois choses de cette époque. Je me rappelle très vaguement que mon grand-oncle avait apporté de la farine de riz collant pour me faire une bouillie. L'autre c'est que je poursuivais une personne, une jeune femme en lui demandant de me faire manger du faisan que j'avais vu dans les réserves. Alors, ma grand-mère a dit: "C'est un enfant qui a perdu sa mère, donne-lui à manger." A trois ans ça m'a bouleversé: "Perdu sa mère"... [voix assourdie, émue]. A cause de cela, j'ai eu pendant toute ma vie une sensibilité maladive. J ai eu pendant toute ma vie deux défauts la timidité, déjà que les Orientaux sont timides, j'étais le pire de tous et puis cette sensibilité, encore aujourd'hui elle ne passe pas. Il me vient facilement des larmes. Je me souviens d'avoir vu un jour un essaim d'abeilles. On essayait de recueillir le miel et d'attraper l'essaim. Comme dans la plaine, il n'y avait pas d'abeilles, je pensais qu'il n'y avait des abeilles que chez mes grands-parents maternels. J'ai été amené au village par mon grand-oncle. Malheureusement ou heureusement, mon grand-oncle n'avait pas eu d'enfants. C'était leur grand malheur. C'est pour cela quils m'ont élevé jusqu'au retour de mon père, après huit ans de Sibérie. Il y avait un autre drame qui m'est très pénible. Mon grand-oncle aussi aimait bien l'alcool. Or, mon grand-père a eu pendant toute sa vie la haine des alcooliques. C'était la dissenssion entre mon grand-père et son frère cadet. Mon grand-père circulait dans la région. Il fabriquait des nattes (totchari). Il était très habile. Il allait couper dans les marécages les joncs qu'il faisait sécher lui-même. De temps en temps, il venait chez son frère pour me voir et s'occuper de moi. L'école Sa préoccupation était de me mettre à l'école dès que je serais capable d'apprendre quelque chose. Quand j'ai eu quatre ans, je me, rappelle très bien, des circonstances aussi, il est venu pendant quelques jours et il m'a conduit chez le maître du village qui était d'ailleurs un parent de la famille Yi. J'ai commencé a ânonner les caractères chinois, heureusement, dans un certain sens. Si je n'avais pas commencé à apprendre les caractères chinois, je serais devenu très certainement l'idiot du village. Je ne pouvais pas sortir, ces gosses, qui étaient plus ou moins mes cousins éloignés, me surnommaient "yeux de boeuf". De plus, mes cheveux étaient ondulés et pas lisses comme eux. Dès que je sortais, on me fichait par terre, on me tirait les cheveux et trois ou quatre gamins étaient sur moi. C'est là aussi probablement l'explication de ma timidité. Je n'osais pas sortir. Heureusement, j'ai commencé à apprendre les caractères chinois. Dans le malheur, il y a quelque chose qui vous sauve. A ce moment-là, 95% des Coréens étaient absolument illettrés, mais la tradition de l'apprentissage des lettrés était ancrée dans toutes les familles. A l'école, un maître s'installait, accroupi et les enfants s'accroupissaient tout autour dans une pièce qui était grande comme lesdeux-tiers de cette pièce. Tous les ans, deux fois par en au printemps et en automne, des lettrés passaient, venant de la ville, pour examiner les élèves, pour voir s'ils savaient réciter quelques vers chinois ce que je faisais assez facilement. Evidemment, j'étais mal habillé, sale, mal peigné. De cette tête-là, il y a une voix qui est sortie et qui a résonné dans la salle. A partir de ce moment-là tout à cessé, les enfants m'aimaient. Un jour que j'étais sorti, un grand garçon, qui était plus fort que moi, m'a fait manger des chenilles, des vers noirs qui étaient dans les champs d'orge. Son père était plus ou moins lettré. Il apprit ça. Il m'a demandé de venir et, devant moi, il a fouetté son fils sur les mollets en le traitant d'imbécile. Mes cheveux étaient noués en natte, j'ai coupé ma natte vers 14 ou 15 ans. On avait plein de vermine dans les cheveux. C'était horrible. La soudure Evidemment, chez mon oncle, on mangeait à peu près normalement, mais au mois de juillet au moment de la soudure, il arrivait couramment de sauter des repas. On ne mangeait pas pendant un jour ou deux. Ma grande tante allait chez les voisins quémander, emprunter quelques bols. Je m'en rappelle très bien. Pour essayer de trouver quelque chose à manger, ma grande-tante m'envoyait dehors avec un panier cueillir les feuilles de n\˜umjaeng [my\˜ongaju] chénopode [patte d'oie]. Vous savez, ces plantes. J'en ai ici dans mon jardin. C'est encombrant. J'en ai mangé en France aussi. Ici, personne ne sait que c'est comestible. C'est de la même famille que les épinards. En littérature chinoise, c'est une plante très connue. Les feuilles ont une forme triangulaire, chénopode, ça peut dire patte de canard. Les feuilles sont poudrées, elles ont le goût d'épinard. Ici, les feuilles sontpetites. Dans [mon village], en plaine, ça poussait bien, sous la forme sauvage. J'essayais donc de remplir mon panier. Quand mon père est revenu de Sibérie, ce n'était pas très agréable. D'abord, il est revenu au bout de deux ans. Il était comme fiancé avec une femme. Puis, il est resté six ans en Sibérie. A ce moment-là, la famille l'a harcelé. Quand il est revenu, il s'est remarié. Il essayait de trouver des pépites d'or dans les rivières de Sibérie orientale, mais finalement, il a travaillé dans la forêt comme bûcheron. Il est revenu avec deux scies que les Coréens ne connaissaient pas, une scie passe-partout et une scie comme en France. Mon oncle avait pas mal de dettes. Mon père a payé toutes ses dettes et il n'a pas acheté grand chose et nous sommes partis de nouveau dans les montagnes, à l'endroit où j'étais né. Pendant la Guerre de Corée, on en a parlé parce que l'armée américaine avait des difficultés à évacuer un col de montagne que j'ai franchi plusieurs fois dans mon enfance. Là, on ne pouvait même pas cultiver le maïs, mais seulement l'orge, l'avoine et les pommes de terres. La famille de ma belle-mère était originaire d'un lieu situé à cinq, six kilomètres. Elle avait vécu dans ce pays et savait bien se débrouiller. Elle m'envoyait ramasser des boîtes de fer-blanc et elle en faisait des râpes. Elle râpait les pommes de terre, en extrayait la fécule et en faisait des caramels. Pendant un an, la vie était agréable. Malheureusement, c'était le moment où les Coréens essayaient de lutter contre les Japonais. Une dizaine de Coréens avait quatre ou cinq armes plus ou moins démodées. Dans ces montagnes, les Japonais ne faisaient pas de prisonniers, ils les massacraient. Pendant deux ans, nous avons pu vivre dans cet endroit. Puis, un mois de juin, je me revois encore, passant à côté du champ d'orge alors que j'abandonnais cettemaison. L'armée loyale, cest à dire les Coréens qui, sans uniforme, avec les turbans comme cela sont venus à trois ou quatre. Ils ont emmené mon grand-père et mon père parce que mon père avait rapporté de Sibérie deux fusils. Ils avaient appris que nous avions des fusils. Ils ont amenés les fusils et ils ont incorporé mon grand-père et mon père dans les troupes de la guérilla. C'était tragique parce que ma belle-mère avait à peine vingt-cinq ans et moi j'avais onze ans. Nous avons passé la nuit dans l'angoisse. Par une chance incroyable, le lendemain mon grand-père et mon père sont revenus au début de l'après-midi pour se préparer à partir. Heureusement, le chef du groupe était de sa connaissance. Ils avaient pérégrinés ensemble en Sibérie. Les Coréens qui pérégrinaient dans la Sibérie avait formé un groupe appelé les "frères loyaux" (ihy\˜ongje). Je crois qu'ils étaient trente-six. Je me rappelle très bien des brochures où il y avait les noms et l'identité des membres du groupe, leur adresse en Corée, leur âge... L'un de ceux-ci dirigeait ce groupe. C'était dans la forêt vierge encore. Le soir après le dîné, il a amené mon père sous un arbre éloigné et il lui a dit: "Ecoutez. Si j'avais le moindre espoir je ne ferais pas ça, mais nous n'avons plus aucun espoir pour lutter contre les Japonais. Nous allons perdre notre vie. Je ne peux pas oublier le lien perpétuel qui nous unit. Il faut vous en retourner, d'autant plus que votre père est âgé. Il faut retourner dès demain à la maison. Quoiqu'il arrive, ne vivez plus dans les montagnes. Quant à nous, nous fuyons. Nous allons essayer de franchir le Yalou. Il est possible que nous soyons attrapés et massacrés. Il n'est pas nécessaire que vous fassiez le sacrifice de vos vies. C'est cela cette chance extraordinaire que mon grand-père et mon père ont eu. Ils sont revenus. En une heure, nous avons fermé la maison. Nous sommes partis. Nous avons traversé le col dont on a parlé pendant la guerre de 1950, kot'osu, kot'ori qui est au bord de la grande route. De l'autre côtéde cette montagne coule un affluent du Yalou. Nous avons traversé cette rivière et nous sommes arrivés chez les parents de ma belle-mère. Le lendemain, pour rejoindre le chemin de Hamh\˜ung, nous sommes revenus à Kot'ori où mon père et mon grand-père avaient des connaissances. Ils ont raconté les événements survenus la veille. Deux gendarmes japonais étaient logés chez une personne du village, Tong Taeyon, l'un des notables du village. Les guérillas ont essayé d'attraper ces Japonais, mais ils se sont enfuis. Ils les ont cherchés dans les champs de chanvre qui étaient proches. Un jeune, qui était hardi, pénétra dans le champ de chanvre à la recherche des Japonais qui s'étaient enfuis ailleurs. Les autres lui ont tiré dessus par méprise et l'ont tué. Tong Taeyon, qui avait logé les Japonais, a reçu une balle. Heureusement, il était seulement blessé. Le lendemain, sur le chemin de retour au village familial, en descendant les plus grands cols, nous étions dépassés par des convois portant des blessés. Nous nous sommes installés dans le village. Mon père a fait le colporteur-marchand. Il allait acheter à la ville des toques, des fils. Je me rappelle à propos de mes nattes. Pour les Coréens, il fallait conserver les nattes. Il fallait défaire les nattes, les peigner. Même avant l'annexion, en 1908, 1909, on avait creé dans notre commune une école moderne dans l'un des bâtiments qui appartenait à la branche aînée de notre famille, plus aisée. Ils avaient des toits de tuiles. C'est là qu'on avait installé l'école. Mon père était très inquiet au sujet de mes cheveux. "Si tu te fais couper les cheveux, tu ne me reverras plus." Pourtant, j'ai fini par me faire couper les cheveux. J'étais tellement plus à l'aise. A ce moment-là, il fallait apprendre le japonais. L'école communale n'était pas officielle, mais il fallait suivre les programmes. L'annexion a été signée le 23 août 1910. Pratiquement, on recevait une éducation japonaise. Parfois, des Japonais venaient nous enseigner le japonais. Il y avait peu d'écoles secondaires. Il y avait trois écoles secondaires à Séoul, deux dans d'autres villes plutôt ausud et quelques écoles secondaires privées comme celle que je fréquentais à Hamh\˜ung. A Séoul, il y avait une école supérieure de droit, une de médecine, une des techniques et à Suw\˜on, l'école supérieure d'agriculture. En 1919, je suis entré à l'école de droit. Ce n'était pas pour faire des études mais pour préparer ma fuite. Nous complotions notre fuite avec un camarade qui avait participé aux manifestations du 1er mars 1919. Ce camarade était de la même promotion que moi de l'école secondaire de Hamh\˜ung. En sortant de l'école secondaire, il est entré tout se suite à l'école de droit. Il a été arrêté le 5 mars à Séoul, dans le quartier japonais, les grandes rues qu'on appelait à ce moment-là ch\˜unggogae ??? Il avait fait huit mois de prison et il y avait attrapé la gale. 83.03.23.01.B Pendant ce temps, j'étais devenu instituteur. J'avais l'idée de changer. Je suis allé tout à fait dans le Nord, presque à la frontière du Yalou. J'avais 21 ans, ça changeait tout le temps. Finalement, je ne m'y suis pas plu du tout. Je suis revenu. La famille m'attendait. On voulait me marier, c'est trop long... un mariage qui ne plaisait pas du tout. Il fallait revenir tout de même. Je suis finalement revenu. Mon grand-père, mon père, tout la famille voulait que je reste là. [La cérémonie de mariage a eu lieu, mais le mariage n'a pas été consommé.] Je ne suis pas retourné enseigner au nord à la frontière du Yalou. J'ai été recruté pour enseigner à l'école primaire de ma ville. Là aussi, il y avait toute sorte de choses qui me déplaisaient. Surtout, je ne m'entendais pas avec un collègue qui était trop pro-japonais. Je voulais changer. Un jour, en passant en ville, j'ai vu l'annonce d'un concours pour lerecrutement des commis pour le tribunal. J'ai essayé. On recrutait des commis pour les envoyer dans les succursales de district, cela correspondait au bureau d'enregistrement [du cadastre], pour les propriétés foncières. J'ai fait cela pendant un an. Pendant les vacances d'été 1919, j'ai vu mon camarade qui était de deux ans plus jeune. Il avait fait déjà une ou deux années d'école de droit. Je suis allé le voir. Il était dans un hopital tenu par les missionnaires canadiens et situé sur une colline à l'écart. Nous avons parlé de nos malheurs respectifs. Je lui ai dit: "Je n'ai pas envie de vivre ici. Tout me déplaît. Je projette d'aller au Japon." Au moment du 1er mars 1919, je travaillais dans cette administration japonaise. J'ai eu un petit accroc. Dans ce chef lieu de district voisin, je travaillais au bureau de l'enregistrement. Il y avait un chef japonais et moi j'étais le commis aux écritures. J'avais un ami qui était le correspondant du seul journal coréen qui paraissait à Séoul. Au moment du 1er mars, il se trouvait à Séoul pour des affaires concernant son journal. Un jour, il m'envoie le journal, je le défais. A l'intérieur, il y avait un paquet d'exemplaires de la proclamation de l'indépendance. Je l'ai vite caché. Quelques jours après, un jeune coréen qui travaillait comme commis à la sous-préfecture est venu me voir parce que j'étais un ancien, sorti de la même école secondaire. Je lui ai passé la déclaration de l'indépendance. Malheureusement, il y avait un policier auxiliaire coréen qui était là. Ce salaud-là, il a essayé de me fouiller. J'avais tout de suite vu que ce type était un salaud. J'ai caché tout ce que j'ai pu. Malheureusement, il est allé dans la chambre de celui à qui j'avais donné ça. Ce dernier a été arrêté pendant plusieurs jours. Heureusement, il est sorti. En sortant, il m'a dit de ne pas rester ici parce que j'étais très surveillé. C'est pour cela aussi que je me suis inscrit à l'école de droit qui avait un certain prestige. A.G. _ Ne fallait-il pas payer pour les inscriptions ?L.L. _Non, ce n'était pas la question de payer, mais il fallait vivre. Ma famille ne pouvait pas donner ça, mais pendant les vacances, je suis allé voir mon oncle qui était un peu plus à l'aise que mon père. Il vivait dans les montagnes, je lui ai soutiré des fonds en lui disant que c'était provisoire, que je voulais continuer mes études. Quand j'ai revu mon camarade sur le lit d'hopital, je lui ai dit que j'avais envie de quitter le pays, que je voulais aller au Japon pour étre plus libre. [Yoix sourde] Il m'a dit: _"Il y a mieux. On peut aller en France. Il faut que nous nous sauvions jusqu'à Changhaï. A Changhaï, il y a tout un réseau organisé. Nous pouvons aller en France. _ Je n'ai pas d'argent. _ On fera ce qu'on pourra." Pendant les études, j'étais déjà très lié à ce camarade. Dès ce jour-là, tout ce que j'ai fait ???? Nous sommes partis de Séoul le soir du 11 juin 1920 par le train du 10 heures, à la Gare de Namdaemun. Nous nous dirigions vers le Yalou. Il y a des coïncidences qui vous sauvent tout de même. Juste ce jour-la, il y avait eu à Séoul des journées d'études bibliques sayanghoe ?? et une foule de jeunes repartait de Séoul ce soir-là. La région de P'y\˜ongyang était la plus christianisée. Il y avait un temple dans chaque village. Le train était absolument bondé à tel point qu'une jeune fille a dormi jusqu'à P'y\˜ongyang la tête sur mes genoux. C'était inimaginable. La police n'avait aucune possibilité de pénétrer dans cette foule de voyageurs. Sans cela, nous étions pris. A partir de P'y\˜ongyang, nous n'étions plus tranquille, le train se vidait de plus en plus. Arrivés à la frontière nous avons été pris par un Coréen, par un policier auxiliaire coréen. Je ne m'explique pas encore sa conduite. Il nous a emmené à l'auberge. Evidemment, nous étions suspects, nous avions tousles deux le même vêtement, la même allure dans cette foule de paysans. Il logeait d'ailleurs dans la même auberge. Il nous a fait attribuer une chambre. Nous étions inquiets, mais ce qui nous a un peu rassuré c'est qu'il nous avait amené là où il logeait au lieu de nous conduire au poste de police. J'ai commencé à observer ses heures de service pendant toute la journée. Le matin, il s'absentait. Dès que nous l'avons vu partir, nous avons laissé tous nos affaires dans la chambre d'hôtel et nous sommes allés voir notre relais qui travaillait dans une boutique où l'on vendait du riz, du millet. Malheureusement, celui qui devait nous faire traverser le Yalou par le pont avait été arrêté. Catastrophe ! Nous avons discuté avec celui qui restait. Ce n'était pas un inconnu, mais tout de même. Il ne restait qu'une seule solution: essayer le lendemain matin de fausser compagnie au policier et aller vers midi au marché aux poissons. Sin\˜uiju est près de l'embouchure du Yalou, en dehors de la ville, il y avait un marché aux poissons. Heureusement, le lendemain, le type esli parti. Nous avons laissé toutes nos affaires dans la chambre et nous sommes allés nous cacher dans l'un des cabarets-bordels que les Japonais avaient installés partout. Nous avons déjeuné là. Je n'aimais pas beaucoup l'alcool, mais quand j'étais tracassé, je buvais. Ce jour-là, j'ai essayé de boire le plus possible pour me rendre libre. Impossible [de me soûler]. Nous avons vidé pas mal de bouteilles et puis nous sommes partis en essayant même de taquiner les gendarmes qui passaient sur la digue du Yalou à cheval. J'ai méme reçu un coup de fouet. Nous sommes allés au marché aux poissons. Le guide marchait bien en arrière. Nous sommes allés taquiner, les marchandes de poissons, nous disputer avec elles. Il fallait négocier avec un pêcheur chinois, qui avait une petite barque, notre traversée. Nous, avons payés chacun trois dollars chinois, des dollars en argent. Quand nous sommes arrivés de l'autre côté du Yalou, il y avait dix mêtres de boue à traverser. Nous avons encore négocié avec le Chinois. Chacun a payé encoretrois dollars de plus pour qu'il nous transporte dans un endroit sec Heureusement, il y a eu une autre coïncidence: pendant la traversée, il pleuvait fort. Le pêcheur chinois a ouvert les parapluies. Nous étions cachés par les parapluies, les gendarmes japonais n'ont pas pu nous voir. Un an après, ça n'aurait pas été possible, le territoire de la Mandchourie passait sous l'influence japonaise. Le soir même nous nous sommes arrivés a Moukden, la Shenyang actuelle. Il y avait là un autre relais, une de nos connaissance qui guidait les gens en dehors de Moukden, jusqu'à une petite station qui se trouvait à trois heures. Nous sommes arrivés à Changhaï le 20 juin. Nous avons traversés tout le Shantung jusqu'à Nankin et a Nankin, nous avons pris par le bac. Mon ami s'appelait Han Suryong (Hann Sieo\˜u Long Schliessfach 78 Würzburg). De Changhaï, nous sommes partis vingt et un Coréens sur le même bateau [le Porthos] par l'intermédiaire de l'organisme qui a fait venir l'illustre Chou Enlaï en France. *[Société Franco-chinoise (ou sino-française) d'Education, qui recommandait les jeunes Chinois pour le voyage. M. Li a reçu un passeport chinois sur lequel était inscrit comme lieu de naissance: Shanghai.] Je me demande même si nous n'avons pas voyagé sur le même bateau parce qu'il est venu lui aussi en 1920 en France. Il y avait trois bateaux. Un bateau des Messageries maritimes avait déjà transporté des Chinois et quelques Coréens de Changhaï à Marseille. Quand nous sommes arrivés à Changhaï, le deuxième bateau venait juste de partir. Notre bateau a quitté Changhaï le 7 novembre. Si Chou Enlaï est parti à la fin de l'année 1920, nous avons voyagé par le même bateau. Sur le bateau, il y avait plus de trois cents Chinois et seulement vingt et un Coréens. Il y avait un professeur Chinois de l'Université de Tientsin qui avait beaucoup de bienveillance et qui venait bavarder avec nous. Cet organisme a été créé à la fin de la Première Guerre mondiale parce que la France avait besoin de main d'¦uvre. On faisait venir beaucoup de Chinois par l'intermédiaire del'Association culturelle Franco-chinoise. Il y avait pas mal d'étudiants Chinois qui profitaient de ce bateau. Tous les étudiants chinois pouvaient prendre ce bateau et ceux qui n'avaient pas les moyens pouvaient trouver du travail. Nous avions un passeport de complaisance, un passeport chinois. Je n'ai pas changé de passeport [voix forte]. Je m'appelle Ll LONG-TSI. En 1949, un de mes anciens camarades, que j'ai connu ici et avec qui j'étais suffisamment lié est devenu sous Syngman Rhee un personnage de marque. Il se nommait Kong [prononcé con]. Il est venu ouvrir en 1949 la première légation sud-coréenne à Paris. Il a cherché à savoir où j'étais. A ce moment-là, nous habitions à Sceaux. Par l'amitié d'autrefois, je l'ai fréquenté. Je suis allé le voir. Il avait installé son bureau au Grand Hôtel du Quai d'Orsay, à côté de la Gare d'Orsay. Il avait réuni les Coréens de Paris pour commémorer le 1er mars 1919. J'y suis allé. Sa façon d'agir ne m'a pas plu. Il avait laissé sur une table le couvert ?? pour le chef d'Etat Syngman Rhee que je n'aimais pas. Ça me déplaisaît. Je ne disais rien. Au moment de partir, il a appelé son secrétaire et lui a dit de changer mon passeport. Mon humeur a sursauté. J'ai dit: "Tant que la Corée restera divisée en deux, je ne prendrais passeport du Sud, ni du Nord. C'était la rupture avec ce Kong. Les parents de mon ancien gendre, qui est tunisien, tenaient un boutique de diététique. Un jour, mon gendre m'a rapporté des prospectus sur le ginseng. Ce Kong était devenu directeur d'une affaire de ginseng. Il était originaire de Kaes\˜ong qui était un grand centre de culture du ginseng. Dans les années soixantes, j'ai eu pendant un moment des difficultés pour circuler avec ce passeport. J'ai même envisagé de me faire naturaliser. Dans les années 50, j'ai même été appelé au tribunal correctionnel pour le renouvellement de ma carte d'identité. Je suis allé à la préfecture de police. Un commissaire m'a reçu et m'a demandé pourquoije ne me faisais pas naturaliser. "Vous avez toutes les conditions requises, m'a-t-il dit: marié avec une française, des enfants français, des diplômes universitaires français. Vous n'auriez pas ces embêtements." Je lui ai dit: "Comment changer mon faciès oriental ?" En 1960 une de mes filles a épousé un Tunisien. Son mari, ingénieur des Ponts-et-chaussées a été directeur du port d'Alger plusieurs années, deux ou trois ans après l'indépendance de l'Algérie. Ma fille, institutrice, était partie en coopération. Elle voulait inviter toute la famille à passer les vacances à Alger et à Tunis. J'ai essayé d'avoir le visa. Ni l'Algérie, ni la Tunisie ne m'ont accordé de visa. J'ai le passeport de la Chine nationaliste. Tous mes enfants y sont allés. A ce moment-là, je me suis demandé si pour la facilité du transport, du voyage, je ne ferais pas mieux de prendre la nationalité française. J'avais un vieux camarade qui travaillait au Ministère de la famille et de la population. Je lui ai un jour écrit pour lui demander quelle était la possibilité pour moi d'être naturalisé. Il est venu jusqu'ici. Je lui ai demandé quelles étaient les conditions. Il m'a dit: tu as toutes les conditions sauf une, la plus difficile: tu es trop vieux pour faire ton, service militaire". Bon, n'en parlons plus. Heureusement, depuis quelques années, depuis cinq ou six ans, ils m'accordent facilement [mon permis de séjour]. Il suffit d'aller à la préfecture du Val de Marne. Il y a trois ans, je suis allé en Hollande. L'année dernière, nous sommes partis quinze jours en Italie. Maintenant, je n'ai aucun problème. Le grand-père de Bernard est un, musicien connu. Il y a trois ans, à Rotterdam, à Amsterdam, on a donné des grands concerts de Koechlin pendant plusieurs jours. Je suis trop bavard.Pratiquement, je n'ai pas connu d'autres régions que ma région parce que j'étais très pauvre. Même en circulant à pied, il fallait payer l'auberge, ce que je ne pouvais pas faire. Je connais ma région. Après l'école secondaire, je suis allé jusqu'à la frontière du Yalou. J'ai traversé le Yalou, j'ai vu la ville chinoise de l'autre côté, c'est tout. J'ai enseigné dans un district voisin pendant un peu plus d'un an. Puis, je suis allé à Séoul. C'est tout. je n'ai rien vu d'autre. A Séoul, je n'ai pas pu aller à Suw\˜on, ni du côté de Kaes\˜ong. J'avais envie d'aller voir Inch'\˜on, mais je n'avais pas de sous. L'école était gratuite. On ne payait pas. Il y avait une parcelle de terre qui appartenait à la communauté et qui était allouée au maître d'école. Il cultivait comme il pouvait. Parfois, il demandait aux parents d'élèves de l'aider à cultiver. S'il était un peu plus aisé, il utilisait un ouvrier agricole. Lui-même, il y travaillait s'il en était capable. Ce n'était pas le cas de mon premier maître de chinois. Quand on a créé l'école, ..., Il y a eu un traité de protectorat du Japon sur la Corée signé en 1907, je crois. C'est la conclusion de la guerre Russo-japonaise. Je déteste les Américains. Depuis que les Japonais ont ouvert leurs portes aux Américains, les Américains les ont toujours favorisés et ça continue. Par contre, les missionnaires américains étaient des gens très bien qui ont beaucoup contribués à l'évolution du peuple coréen et qui ont beaucoup favorisé les Coréens. Je n'ai jamais été chrétien, mais je suis reconnaissant à la famille Underwood, la famille de l'inventeur de la machine à écrire, qui a été l'une des premières famille de missionnaires à créer des écoles. De même, il y a quelques années le R.P. Sinnot s'est démené à un tel point qu'il a été chassé du pays sous Pak. Par contre officiellement, ça été toujours mauvais. Le traité de Portsmouth, le traité de paix russo-japonaise. Je sais à peu près ce qui s'est passé. Roosevelt, Taft, avaient une mentalité raciste. Les Anglais ont efficacement aidé lesJaponais pendant les batailles navales. Quand la flotte de la Baltique, après avoir fait le tour par l'Afrique, est arrivée. Les Anglais ont renseigné les Japonais sur la marche de la flotte. Les Japonais les attendaient au détroit de Shimonoseki. Les Américains ont organisé le traité de paix de Portsmouth et en même temps, ils n'ont pas voulu humilier les Russes devant ces Jaunes. Ils ont manigancé pour que les Russes ne payent pas d'indemnités de guerre. Alors que traditionnellement, dans le premier article, le perdant devait payer des indemnités, les Russes n'ont rien payé. En compensation, ils ont donné toute liberté aux Japonais pour faire de la Corée ce qu'ils voulaient. Je me rappelle très bien. Le Ministre des Affaires étrangères, chef de la délégation japonaise, quand il est descendu à Yokohama, il a été malmené par la foule parce qu il n'avait pas fait payer d'indemnités de guerre. J'ai un ami qui est malheureusement mort, tué par la clique de Syngman Rhee en décembre 1948, chez lui. C'est le véritable fondateur du Tonga Ilbo, Chang T\˜oksu. Quand j'ai quitté la Corée, il était déjà sorti de la prison. Il a créé le Tonga Ilbo en janvier-février 1920. Il en était le rédacteur en chef. Un notable coréen, Pak Yongho était le président du journal, parce que pour amadouer les Japonais il fallait quelqu'un. Chang T\˜oksu est venu à Paris en 1928 avec le directeur de cette époque, Kim Songsu, un riche du Sud qui finançait le journal. Ils sont arrivés à Paris. C'est moi qui les ai conduit à l'Opéra, ... Chang T\˜oksu était sorti de l'Université Waseda à Tokyo avant d'aller en prison. C'était l'un des membres fondateurs de la Nouvelle Jeunesse à Changhaï avec Yo Unhy\˜ong et un autre. Tous les trois ont été assassinés par Syngman Rhee. Un autre, Yi Kwangsu, un grand romancier coréen a fini sa vie en Corée du Nord. Tous les trois, ils ont créé l'Association pour la nouvelle Corée à Changhaö. Chang T\˜oksu avait eu la mission de rentrer en Corée. En arrivant, il a été arrêté à Inch'\˜on, à ladescente du bateau. Il m'a raconté tout cela. Il est resté au moins un an en Angleterre. A Columbia, il voulait faire une thèse de doctorat sur le problème du chômage en Angleterre. Quand il venait à Paris, il réservait une chambre à l'hôtel de Senlis où je logeais rue Malebranche au 7e étage. Nous bavardions quand nous étions réunis parce que je faisais ma popote dans ma chambre. Nous mangions le riz. J'étais très lié. Quand nous sommes arrivés à Marseille, la plus grands majorité essayait de partir aux Etats-Unis. Parmi eux, il y avait Ho, celui qui est devenu le Maire de Séoul, qui a organisé le départ de Syngman Rhee en 1960 et qui a été président intérimaire. A Changhaï, nous étions logés dans la même chambre. Il voulait aller aux Etats-Unis pour devenir pasteur, mais il n'avait pas de passeport. Il pensait passer par le Mexique, ce qu'il a dû faire. Une grande partie des étudiants voulait aller aux Etats-Unis. Ceux qui pouvaient financer leur séjour en Europe, comme mon camarade Han Suryong, sont partis en Allemagne. Han Suryong a fait des études économiques assez sérieuses à Wurtzbourg jusqu'en 1924 ou 1925. Jusqu'en 1924, ils ont vécu largement parce que le cours du mark s'effondrait. L'été 1922, je suis allé passer l'été en Allemagne, à Wurtzbourg. Il y avait tout un groupe qui avait fait le voyage sur le même bateau. Parmi eux, il y avait l'un de mes meilleurs amis, un ami dont le village natal était distant de dix kilomètres du mien. Il était musicien. Sa famille était très riche. Les autres le harcelaient: "Puisque tu peux payer, pourquoi laisses-tu Li à Paris faire un travail de domestique ? Il ne peut même pas apprendre le français." Moi, je ne voulais pas aller en Allemagne. Mais, il a accepté de financer mes études à Wurtzbourg. Je suis parti de Paris en quittant mon poste de valet de chambre chez une dame rue deBerri. Je ne sais pas si vous avez connu mon vieil ami Haudricourt aux Hautes Etudes ? Il me disait: "Oh ! vous avec votre sale caractère". J'ai un peu de ça. Je suis très timide et pas courageux du tout, mais je suis très obstiné. Quand j'ai quelques idées dans ma tête, il n'y a rien à faire. Quand j'ai commencé à vivre aux dépens de ce camarade, ça ne me plaisait pas du tout. Alors, j'ai abandonné. D'autres camarades étaient très généreux, ils me donnaient un billet d'une livre sterling puisque le mark s'effondrait. J'ai vécu en Allemagne comme cela. En 1924, on a réévalué ?? le mark, tous les Coréens, même ceux qui avaient de la famille très fortunée ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins. Parmi eux il y avait un camarade qui faisait des études pour devenir professeur à l'Université Y\˜onhi à Séoul. Après 1945, il est effectivement devenue professeur à l'Université Y\˜onsei [Chong S\˜okhae??]. Mon camarade Han Suryong et celui qui est devenu professeur à Y\˜onhi sont venus en France. Je les ai aidés à chercher un travail. Il a été valet de chambre chez une danseuse assez célèbre, Loïe Fuller [1869-1928] qui habitait du côté de Montmorency. Il était persuadé que c'était chez elle qu'il avait attrapé la tuberculose. C'est possible parce qu'il paraît que Loïe Fuller toussait. Il est arrivé à Paris en 1925. Il est resté jusqu'en 1928. Il a été hospitalisé. En 1922, en revenant de Berlin, je suis rentré comme garçon de service dans une clinique privée, rue Boileau. C'est grâce à cela que j'ai pu apprendre le français. Il y avait d'autres Coréens qui y travaillaient. L'un d'entre eux, Kim, était arrivé par le bateau suivant, au mois de janvier 1921. Après, j'ai appris qu'il avait été ministre de l'éducation nationate de Syngman Rhee. Il était entré avec un autre camarade, qui est mort malheureusement, comme garcon à cette clinique. Avant de partir enAllemagne, Je visais un travail dans cette clinique. J'ai fini par l'obtenir et en revenant de Berlin, le soir même, le 22 décembre 1922, j'y suis entré. J'ai travaillé jusqu'en 1927. Nous étions trois ou quatre Coréens et nous travaillions à mi-temps. Ils nous appréciaient beaucoup. Cette clinique a produit au moins trois licenciés de l'Université. *[M. Li a été licencié ès Lettres (1934-35). Il préparait un certificat après l'eutre: certificats de littérature, d'histoire de l'art, d'ancien français, d'histoire. En 1935-36, il a commencé à préparer une thèse sur Anatole France et le XYIIle siècle. Pour cela, il avait une carte de lecteur à la bibliothèque. Aprés, il s'est dirigé vers la phonétique puis vers la linguistique. Il a suivi pendant dix ans les coure de M. Guillaume à l'Ecole pratique des Hautes Etude. Il connaissait bien M. Fouché, directeur de l'Institut de phonétique de Paris. En 1942, il fit la connaissance de Haudricourt et de Martinet. On l'a encouragé à écrire une grammaire coréenne.] C'est comme cela que j'ai pu commencer à aller à l'Alliance française, et étudier. En 1928, mon camarade Han Suryong n'était plus en état de travailler. Grâce aux soins à l'hopital, il vivotait, mais il lui fallait un travail pour pouvoir vivre. Que faire ? J'ai quitté la clinique. En travaillant à la demi-journée, je gagnais 100 f. par mois, nourris logé et blanchi et 15 f. pour la boisson, c'était la tradition. Avec 115 f., je n'avais pas la possibilité de l'aider. Alors, j'ai décidé de quitter la clinique et cette situation providentielle pour moi. J'avais à peine commencé mes études à la Sorbonne. J'ai cherché un travail. J'ai été valet de chambre de Marcel L'Herbier, le cinéaste qui est mort l'année dernière ou il y a deux ans. J'avais lu une annonce dans Le Figaro. J'étais payé 600 f. avec cela je pouvais aider mon camarade. Evidemment, lui aussi savait qu'il dépendait de moi et il a décidé de retourner au pays. Il est parti le mois de décembre 1928. Il n'a pas vécu longtemps, il a dû mourir en 1936 de la toberculose. Un jour de 1930, j'ai un recu une lettre tragique. Il avait contaminé sa femme et sa femme était morte. Il étaitdésespéré. J'ai commencé à déchiffrer l'alphabet coréen sur la bateau. Un Coréen, qui était venu au moment de la conférence de Versailles, m'avait écrit ce que je devais demander dans les restaurants: les pommes de terre,... Je vois encore son écriture. En Allemagne, je baragouinais. Au début, je faisais toutes sortes de métier: terrassier à Laon, à Reims. Nous sommes arrivés le 14 décembre à Paris et j'en suis parti le 20. J'étais seul. Les autres avaient tout de même quelques sous. Normalement, chacun devait posséder 3.000 f. en arrivant. C'est pour cela qu'un certain nombre d'entre nous sont allés au lycée de Beauvais pour essayer d'apprendre le français [dans le carnet: Chung Sup Lee, Lycée Felix Faure, Beauvais]. Moi, je n'avais pas un sous parce que mes 3.000 f. étaient garantis par mon camarade. Je ne voulais pas garder cet argent, je le lui ai rendu. Il m'a tout de même donné trois cents francs. C'est pour cela que j'ai été le premier à partir au travail. Je suis parti à Montbard. Je suis arrivé à l'usine métallurgique le 20 décembre à Montbard. Elle allait fermer pour les congés. Ils ne voulaient pas me prendre. J'ai été recruté au mois de Janvier. Je ramassais des ferrailles sous la pluie, à la main et je chargeais des wagonnets. Au bout de deux mois, j'étais chômeur. Je suis revenu à Paris. J'ai rencontré un autre camarade et nous sommes allés à Suippes, une région dévastée. Il y avait là une quinzaine de Coréens qui étaient venus de la Russie et qui travaillaient là pour ramasser des obus et tout ça. Il y avait des Coréans qui vivaient dans les baraquements. Je suis donc allé à Suippes. Au printemps, avec le Coréen qui parlait bien le russe et qui était instituteur quelque part en Sibérie nous sommes allés chercher du travail et nous en avons trouvés à Laon pour faire des terrassements pas loin de la gare. Il fallait charger la terre creusée avec la pelle. Ma pelle n'atteignait pas les wagonnets qui étaient trop hauts. On était payé à la tâche, au nombre de wagonnets. Mes compatriotes qui avaient traînés pendant des années en Russie avaient la force et travaillaient très vite pour gagner le plus possible. Moi, je devais être très gênant. Mon compatriote qui parlait russe trouva à Laon par une relation, un travail dans une briquetterie. Celui qui devait faire la briquetterie était le neveu d'une parisienne qui avait été recrutée comme secrétaire du bureau coréen au moment de la conférence de Paris, Madame Mathia.?? J'ai travaillé pendant quelques jours, puis j'ai appris qu'un de mes compatriote qui travaillait à Saint Denis avait envie de venir me rencontrer à Reims. J'ai fait l'échange contre son poste de chandelier ?? Un directeur de verrerie logeait des apprentis verriers, une dizaine de garçons de 14 ou 15 ans. Je suis entré pour faire le service de table. J'ai fait toutes sortes de métier. J'ai demandé à mon camarade Han Suryong de voir aprés son retour ce que devenait mes fréres et soeurs qui ne sont que mes demi-frères et demi-soeurs [Une grosse enveloppe contient les lettres envoyées par H.S.] 83 03 23 O2 A Je n'ai vécu pas très longtemps avec mes parents. Evidemment, quand j'étais à l'école secondaire, mon père faisait le commerce du colporteur Il était souvent absent. Je vivais avec ma belle-mère. Je n'étais pas souvent à la maison parce que j'étais un peu têtu. Quand j'ai fini l'école communale du village, mon maître, qui m'aimait beaucoup m'encourageait lui aussi à me présenter au concours de l'Ecole normale d'instituteur de Séoul. Il n'y avait pas d'autre école pour moi. Je n'avais aucune autre possibilité, mais l'obligation de servir pendant dix ou quinze ans me déplaisait. La famillem'avait donné de l'argent pour passer la nuit à la ville et me présenter le lendemain à la capitale de la province pour concourir. La veille, je suis allé me faire photographier. J'ai passé une nuit blanche. Qu'est-ce que je dois faire ? Si je passe le concours et que je réussisse, d'un côté, c'est agréable d'aller à Séoul. Ma tête... Je ne me suis pas présenté à l'examen. Au retour, dans la famille, mon maître qui m'aimait beaucoup me disait: "Mais qu'est-ce que tu veux être ? La famille n'a même pas de terre à cultiver. Je vais essayer d'aller à pied à l'école secondaire de la ville. Il y avait six kilomètres pour aller et autant pour le retour. Finalement, c'est ce que j'ai fait. Tous les matins, je partais à l'aube. Une fois, j'ai failli rester dans la neige. C'était au mois de janvier. La rentrée avait lieu le trois janvier. Ue me lève, il neigeait. Déjà, en sortant de la maison, la neige arrivait jusque là. J'ai persisté à y aller. Je suis arrivé en classe vers onze heures, cinq heures de route. Mes pieds étaient gelés. Mes chaussons coréens me collaient à la peau. Le professeur m'a dit surtout n'approchez pas du calorifère. Il fallait rentrer. Le temps avait changé. Vous savez le vent coréen, la tempête de neige. Je suis parti de la ville. Après avoir traversé le long pont, je devais suivre jusqu'à notre village une digue étroite où une seule personne pouvait passer. Le neige cinglait. J'avais entendu dire qu'il ne fallait jamais s'asseoir. Une fois assis, c'était la fin. Je ne me suis pas assis. Je suis revenu à la maison. [sanglots dans sa voix] Mon grand-père a dit le mot juste, malgré son ignorance totale de tout ce qui était réflexion: "C'est ton ardeur intérieure qui t'a sauvé." J'ai fait ce trajet pendant quatre ans. La cinquième année, je me suis arrangé avec ma belle-mère pendant l'absence de mon père. J'avais des camarades qui pouvaient me loger et j'ai pu payer les frais de logement et de nourriture pendant la dernière année. Mon endettement,...malheureusement, c'est ça mon regret... J'ai laissé mourir mon grand-père sons le revoir, [silence]... Je n'ai pas eu beaucoup de relations affectives avec mon père. Par contre, mon grand-père [sanglots], c'est l'homme le plus malheureux que je n'ai jamais vu de ma vie. Il parait qu'il est mort en 1921. La famille m'a écrit qu'il se demandait quand j'allais revenir. Il demandait quand étaient les vacances. Il savait que je pouvais revenir pendant les vacances. Une autre chose m'a favorisé un peu dès que j'ai commencé à apprendre le japonais. Mon cousin issu de germains au 6e degré appartenait à la branche aîné du lignage. Il était le maire de notre commune à la fin de l'ancien régime et sous les Japonais. Dès que j'ai commencé à lire un peu de chinois classique, il m'a dit: "Chez toi, il n'y a pas de place pour étudier, quand tu veux travailler, viens dans notre maison". C'était la manifestation de la solidarité familiale. Evidemment, je l'ai aidé un peu quand il y avait un agent japonais. Je faisais l'interprète. Ce cousin n'avait pas tellement de considération pour mon grand-père qui étiait plus âgé que lui, mais dès que j'ai commencé a être un peu près de ce cousin, ce dernier est allé l'inviter à une petite réception qui avait lieu. Mon grand-père lui a répondu: "Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse avec un vêtement comme cela et ma tête comme cela". Il y avait aussi de l'entêtement chez mon grand-père. yoksim Il me disait toujours: "Il ne faut pas avoir "l'ambition". Il ne faut pas avoir de yoksim [avidité], le coeur noir. En coréen c'est mal traduit alors que c'est simplement la volonté de faire quelque chose. Il me disait toujours que pour vivre, il ne fallait pas avoir de yoksim. Pour lui, c'étaitle fait de tromper, d'être avide d'argent, tout ça. En vieillissant, je n'ai jamais abandonné cette éducation de vieux lettré. Je me rappelle, la première fois, quand j'avais quatre ans (en coréen on disait cinq ans), il m'a conduit chez le maître, un lointain cousin. Moi, je ne voulais pas aller à l'école. vaccination A ce moment-là, c'était le moment de la vaccination, vaccination des plus rudimentaire contre la variole (udu). J'avais une peur atroce de tout ce qui concernait la médecine, surtout des aiguilles. Il était question de vaccination et d'aller à l'école. On m'a dit que je ne pouvais pas refuser les deux. Tu fais la vaccination ou tu Yas ohez le maître ? J'avais tellement peur du médecin, que j'ai préféré aller chez le maître. [rire] Je suis allé chez le maître. Le maître avait une autorité absolue en ce temps là et dans un coin de la pièce, il y avait des bottes de fouets comme cela. Des parents apportaient des bottes de frêne, de ssari (lespedeza) qui montent tout droit. Vous voyez les déviations de langage, d'idées surtout chez les gens peu évolués. Le père apportait les bottes de fouets au maître en lui disant: "Tapez-le. Tapez-le". Ils croyaient que c'était ça qui faisait entrer le savoir. Deux jours après, le maître me dit: "Viens avec moi". Evidemment, je n'ai rien dit. Il m'amène chez le vaccinateur. J'ai été obligé de me faire vacciner. Je conserve encore la trace, la cicatrice de ce vaccin. Ce que j'ai vécu, les Coréens d'aujourd'hui n'en savent rien. J'ai vécu la jonction de l'anclenne Corée immuable [avec le monde moderne]. J'ai vu des changements plus ou moins tragiques. Des dizaines de milliers d'hommes, sont morts dans les montagnes, tués par les Japonais. Ils ne faisaient pas de prisonniers. Tous ont été massacrés. J'ai horreur de toute guerre quelque soit le régime, quelqu'en soit le prétexte. L'histoire de la Corée me dégoûte.Aujourd'hui, les Coréens me bomberdent [de brochures]: du Nord, du patriotisme. Evidemment, je n'ai pas oublié la Corée. Je participe [à l'Association Nation coréenne...] Je ne peux rien faire. J'entends mal. Je vois mal. Dans les réunlons, je ne comprends rien. Je participe parce qu'ils me le demandent, pour ne pas les décourager. Quand il s'agit de parler franchement de ce qui était notre pays, je suis content, mais je ne suis plus du tout coréen. Dans les brochures qui viennent de l'Allemagne ou de Tokyo ou même de l'Amérique, ils parlent de ce traite de Pak Ch\˜ongh\˜ui ou encore Ch'\˜on Tuwan en l'appelant Monsieur le Président, Monsieur le Président. Ça ne me va pas, parce que c'est le titre qui les subjugue. En arrivant à Changhaï, j'ai rencontré tous les autres sauf Syngman Rhee qui était à Hawaï. J'ai passé une matinée à Paris avec lui, en 1932 probablement. Par hasard, un jour, j'ai reçu une lettre signée Syngman Rhee. Voyez-vous, les Coréens sont ignorant dans ce domaine. Dans ces brochures, ils ont tous écrit i, comme on prononce. Cette diversité des manières d'écrire le nom qui se prononce i. Ceux qui vont en Amérique Ree, en Allemagne Lie, ici Li. Le plus cocasse c'est Syngman Rhee. Ce type, qui était anti-japonais jusqu'auboutiste, est le seul qui ait adopté la prononciation japonaise. Il ne le savait pas probablement. Avec un "h" ! Il y a encore d'autres manières d'écrire ce nom. Syngman Rhee Syngman Rhee [1875-1965] était pro-américain depuis longtemps. C'était naturel puisqu'il avait fait ses études avec eux. Par malheur, il a eu un prestige considérable sur les Coréens en 1920 et même après. Il est l'un des premiers sortis du Paejae haktang, l'école secondaire créée par les missionnaires américains. Il est parti aux Etats-Unis, il avait presquetrente ans l'année de ma naissance. Il a été d'abord à l'Université de Washington puis à celle de Princeton où justement il a connu Wilson, le futur président des Etats-Unis. Il a fait sous sa direction une thèse de doctorat sur le problème de la loi internationale. Il avait déjà son ambition. En 1920, quand j'étais en Corée, les Coréens disaient que Syngman Rhee était l'ami de Wilson. Changhaï 1920 A Changhaï, les jeunes, plus ou moins respectueux des vieux, dénombraient les doctrines des chefs. Il y avait Yi S\˜ongman uiim t'ongch'i tongnip, c'est à dire l'indépendance sous mandat américain. Il avait déjà suggéré ça. An Ch'angho aussi avait longtemps vécu aux Etats-Unis, An Ch'angho y\˜ons\˜ol tongnip, l'indépendance par le discours d'An Ch'angho parce qu'il était éloquent. C'était la première génération de dirigeants. Yi Tonghwi était de ma région. Vous avez compris que le régionalisme étaiti vraiment horrible chez les Coréens. Yi Tonghwi ch\˜oltae tongnip, l'indépendance absolue de Yi Tonghwi qui s'opposait à l'indépendance sous mandat de Syngman Rhee. Yi Kwangsu avait fait ses études à Tokyo puis il a commencé à écrire. C'était le premier écrivain coréen [en han'g\˜ul]. Yi Kwangsu puttae tongnip, l'indépendance par le pinceau de Yi Kwangsu. Y\˜o Unhy\˜ong [1885-1947] était le président de l'association des Coréens de Changhaï. Il est mort en 1945, après la libération de Séoul, soi-disant assassiné par les communistes, mais pour moi, c'est incontestablement par la clique de Syngman Rhee. Syngman Rhee était un représentant typique de la fin du régime de la dynastie Yi, non seulement de la dynastie Yi, mais de toute l'histoire de la Corée: assassinats, massacres. A Séoul, pendant le dernier siècle de la dynastie des Yi, il y avait les luttes de factions à la cour: les gens du Nord, du Sud, de l'est, de l'ouest.Après, les factions se sont subdiviséss. C'était stupide. A la cour, ils n'avaient pas grand chose à faire. Ils bavardaient et sortaient des textes de classiques chinois, de Mencius ou de Confucius. Ils discutaient des cérémonies de deuil. Sous mots couverts, on accusait l'adversaire. Le dignitaire disgracié partait en exil dans les îles du Sud. J'ai appris cela par un de mes camarades de l'école secondaire dont le grand-père avait été autrefois Hamh\˜ung musa [milsa??], l'émissaire du roi qui circulait dans les province en se déplaçant incognito. Il conduisait aussi les condamnés à l'exil, dans les îles. Il était de ma région et il racontait ce qu'il avait fait. Quand un dignitaire était condamné à mort, c'est lui qui était chargé de lui faire boire le poison. ... Le chant des dragons volants C'est un texte que j'ai lu. Au point du vue linguistique, c'est important, c'est une sorte de chanson de geste sur les fondateurs de la dynastie Yi: Les chants des dragons volants, parus en 1450 environ.. Ce sont les exploits des fondateurs de la dynastie Yi. Yi S\˜onggye a vécu longtemps dans ma région, à Hamh\˜ung et un peu au sud. Actuellement, il y a tout un combinat industriel qui est installé. Il y a quelques années André Fontaine a visité l'ancien palais de Yi S\˜onggye. Il a eu plusieurs femmes qu'il a épousé successivement et dix enfants. Au moment où il a renverse la dynastie précédente, qui ne valait guère mieux, il est devenu roi. Il avait l'intention de faire de son plus jeune fils, Pangs\˜ok son successeur. Les autres fils étaient jaloux et ils ont tués Pangs\˜ok. Yi S\˜onggye était très fâché. Il régnait depuis sept ans. Il est revenu à Hamh\˜ung, dans ce palais qui subsiste encore. Il y avait méme le pin qu'il avait planté. Il était complètement couché, soutenu par des étais. Yi S\˜onggye est venu vivre là. Un de ses fils est monté sur le trône et a envoyé des messagers pour qu'il revienne. L'expression Hamh\˜ung ch'asa, l'émisssire à Hamhung ihung y\˜oji?? désignait le dignitaire envoyé pour inviter le roi à revenir à Séoul. Le roi était un excellent archer et il tirait sur les émissaires qui venaient de Séoul. Tous les Coréens connaissent cette expression qui évoque le départ de quelqu'un qui ne revient pas. Cette chanson de geste a été écrite en chinois classique, puis on l'a traduite en coréen. Le roi avait promulgué l'écriture coréenne en 1446 et ils ont pu écrire avec cet alphabet. Je critique tout ce qu on fait les Coréens, mais devant ça, je suis tombé en admiration. Ecriture créée de toute pièce que l'on n'avait jamais enseigné obligatoirement. Ce texte est écrit en coréen mélangé de nombreuses expressions chinoises, mais c'est remarquable. J'ai appris une chose qui m'est très utile. L'érudit (qui a rédigé ce texte) avait fouillé dans la littérature chinoise, dans l'histoire de toute la Chine. En Chine, c'est pareil: le frère qui tue le frère, il y a même le fils qui tue le père pour avoir le trône. Vous avez été dans l'ancienne capitale de Silla, à Ky\˜ongju ? Quand on pense que Silla a détruit Paekche et Kogury\˜o avec l'aide des T'ang. Silla a cédé l'autre côté du Yalou aux Chinois. Lignage Je n'ai aucune envie d'être le descendant de Chinois. Selon le registre de notre lignage, notre premier ancêtre en Corée serait le général commandant des T'ang venu aider le Silla à unifier le pays. C'etait un fratricide. Ils ont tués leurs frères. Notre ancêtre serait l'adjoint de ce commandant et il serait resté en Corée. Je n'en sais rien. Les Coréens sont tous menteurs, au point de vue historique.Kong, mon ancien camarade qui est venu ouvrir la légation à Paris avait le même nom que Confucius. Les Coréens sont allés chercher un arrière petit-fils de Confucius pour avoir la race de Confucius en Corée. La langue coréenne, c'est la plus laide que je puisse imaginer. A.G. _ Pourquoi ? L.L. _ C'est une hybridation. A.G. _ La française aussi. L.L. _Tous ces écrits ancien, c'est plus ou moins un jargon d'un escolier limousin d'un Rabelais. Il utilise des mots latins en français tandis que le coréen et le chinois sont tout à fait d'autres langues. ... En entendant les discours prononcés à Tokyo, aux Etats-Unis, ou en Allemagne, j'ai eu l'impression que la prosodie d'élocution est la même chez les Coréens à l'étranger, tant chez les clandestins que chez ceux qui ont changé de nationalité. Pour moi, ces discours étaient presque incompréhensiibles. Mme Li _ Il n'a rien compris. Il connaissait l'histoire, mais il n'a pas compris les dialogues (il s'agit d'un film video que nous avons vu chez un ami coréen dans lequel il est question de l'assassinat d'un diplomate Japonais vers 1905) La langue L.L. _ Au moment où j'ai quitté le pays et même après, dans les années 1930, nous parlions entre Coréens nos dialectes en les modifiant à peineparce que nous savions que tel mot régional était incompréhensible aux autres. Quand j'ai vécu à SéouI, c'était pareil, même à l'école de droit. Evidemment, il y a certains accents très forts surtout du Ky\˜ongsang, du Ch\˜olla. Je n'ai jamais compris le parler du Ch\˜olla. A Paris, quand je travaillais à la clinique, j'entre et je vois un Japonais qui m'attendait. C'était un jeune frère un homme très connu en ce temps là en Corée: An Chaehong. Il a participé au journal Tonga Ilbo. Les types sont assez différents, les gens du Ch\˜olla ressemblent beaucoup au Japonais, les gens du P'y\˜ongan plus aux Chinois, de mon côté [au Nord-est], c'est un peu différent. Je pense que nous sommes de la même souche, à part les élément chinois qui ne manquent pas dans le Nord-est, nous appartenons au même groupe linguistique ouralo-altaïque. Les fondateurs de la dynastie Silla viennent de Mandchourie. Les historiens coréens n'en parlent pas. Le premiers rois de Silla s'appelaient Kan, certains hauts-fonctionnaires aussi. J'ai une petite histoire publiée en Corée en 1922 à Séoul. Vous avez entendu parler de Tan'gun qui est un personnage un peu mythique. Après il a eu ??S\˜okchin sur lequel on n'a pas de détails. Il était installé en principe sur cet immense territoire de la Mandchourie. Il y a plus de trente ans, j'ai trouvé une petite brochure d'occasion, un tirage à part d'une revue de géographie de la Royal Society de Londres dans lequel, un francais a fait une communication sur l'origine des Mandchous. Il avait fouillé dans toute l'histoire de Chine et cité des dizaines de noms qui correspondent à ceux de l'histoire de la Corée. Au point de vue linguistique, le Tchouchee [Ulc??] est tellement ressemblant. Ils étaient une partie du royaume de S\˜okchin. Nous somme dans un méli-mélo avec les Mongoles, les Mandchous... Ces nomades qui vivaient aussi de cueillettes et de pêches.LI LONG TSI Interview du 23 mars 1983 de Li Long-tsi (Yi Yongje) Né le 3 juillet 1896 (année du singe, année marquée sur le passeport: 1898) Perdu mère à 3 ans Elevé par un grand-oncle (frère cadet de son grand-père) jusqu'à 10-11 ans. Père parti en Sibérie, bateau pris à W\˜onsan. Huit ans après le père est revenu (11 ans). Arrivé en France le 14 décembre 1920. Marié le 7 mai 1936 à Madeleine Koechlin Décédé le 13 décembre 1986 à l'hôpital Paris XIIIe. A.G. _ Parlez-moi de votre enfance. Vous avez perdu votre mère à l'âge de trois ans, n'est-ce pas ? L.L. _ Je n'aime pas raconter ma vie, mais c'est la réalité. Je suis d'une famille, des plus pauvres que l'on puisse imaginer de la Corée. C'est la conséquence des malheurs qui sont arrivés à mon grand-père. Quand mon grand-père avait 14 ans, il y a eu une épidémie de peste. Situation géographique Je suis originaire de la ville de Hamh\˜ung, située dans l'unique plaine qui se trouve sur la côte Nord-est. Notre village est situé à peu près au milieu du district de Hamh\˜ung qui est la capitale de la province du Hamgy\˜ong du Sud. Le village avait plusieurs noms, évidemment, selon la tradition purement coréenne S\˜omni (s\˜om, l'île en coréen et i, la commune) et comme les Coréens ont la manie d'utiliser des expressions en utilisant les caractères chinois, c'est devenu Chungsangni (chung, milieu; sang, haut; i, commune). C'est à dire la commune qui se trouve au haut du milieu par rapport à la ville là où se trouvait installé le gouverneur de la province (Kwanch'alsa). Dans cette plaine, il y a trois rivières. L'une, la plus importante, coule juste à l'ouest de la ville de Hamh\˜ung. Elle prend sa source près de la frontière entre la province du P'y\˜ongan et du Hamgy\˜ong. Il y a là la chaîne des Monts Nangnim qui se trouve à une cinquantaine de mètres de la maison où j'ai vécu. Un peu plus à l'ouest coule une autre rivière. C'est à peu près la seule plaine de riziculture de la région du Nord-est. Lignage Le village regroupait un peu moins d'une centaine de maisons, qui appartenaient presque toutes à même la famille [patrilignage], à la même souche, celle de Yi. Les Yi de Ch'\˜onju, la famille royale du y\˜onnan, dont l'origine se trouve dans la province du Hwanghae, à l'Ouest. Je ne sais pas dans quelle mesure c'est vrai ou non. A l'âge de 15-16 ans, j'ai participé à la réédition du registre du lignage. *[Ce devait être au début des années 10. Il a dû mettre à jour les dates de naissances des registres des gens de sa famille pour les besoins de l'administration japonaise. C'est ainsi qu'il a mis qu'il était né en 1898. Selon son épouse, il paraît qu'un jour en bêchant son champ, il s'est rendu compte qu'il s'était trompé de deux ans et qu'il avait rejeuni tous les gens de deux ans, car il s'était rappelé qu'il était né l'année du singe (1896). Le fait est courant à l'époque, cf. la biographie de Hong Insun qui a deux ou trois années de naissance.] C'est pour cela que je m'en rappelle un peu. Notre ancêtre viendrait de la Chine. Evidemment, puisque tous le Coréens se sont donnés un nom chinois. Mais cela n'est pas impossible non plus. Dans la province du Hamgy\˜ong, les Yi ne sont pas nombreux. Nos ancêtres, les Yi du y\˜onnan, se sont installés à Hamh\˜ung. C'était une région peu peuplée. La politique royale exilait les gens dans les régions peu habitées, c'était l'une des rares mesures royales qui m'apparaît valable. A part deux ou trois familles qui sont venus par alliance, nous étions tous du même clan dans le village, alors que les autres villages autour étaient composés de plusieurs lignages. Ce n'est pas pour me vanter de mon origine, mais enfin, dans l'ancien régime ma famille comptait. Quand un gouverneur arrivait, souvent on faisait appel à la branche aînée de ma famille. Elle était très connue. Autonomie villageoise Quand j'avais 11 ou 12 ans, j'ai assisté à une chose invraisemblable. Un policier est arrivé dans le village. Il essayait d'arrêter les gens qui jouaient aux cartes. Finalement, les joueurs se sont mis à le chasser. Il ne pouvait pas entrer dans notre commune. On se considérait comme une commune honorable. La peste Le grand-père de mon grand-père était un lettré connu de la région. Il ne connaissait que les classiques chinois et composait des poésies et des dissertations en chinois, mais il était alcoolique, au grand regret de mon grand-père. Ce grand lettré n'a jamais demandé à mon grand-père d'apprendre quoi que ce soit. Etant donné les coutumes coréennes, mon grand-père ne pouvait pas avoir de haine pour son grand-père. Il ne pouvait pas exprimer son ressentiment contre lui, mais il racontait cela pendant toute mon enfance. Quand il a eu 14 ans, une épidémie de peste s'est déclaré. Le grand-père est allé en ville pour l'examen qu'on passait avant d'aller passer l'examen à Séoul. Les lettrés se réunissaient et s'exerçaient. J'ai vu cela un peu dans ma première enfance. Souvent, les fils de familles aisées faisaient écrire par d'autres lettrés. Probablement, mon arrière-grand-père gagnait quelques sous comme cela, puis, avec cetargent, il allait boire. Il était donc allé en ville et au moment de la peste pour l'examen. Son neveu, qui était à ce moment-là le collaborateur le plus immédiat du gouverneur de la province, lui a dit: "Mon oncle, ce soir, après l'examen rentrez tout de suite à la maison. N'entrez surtout pas dans un quelconque cabaret. Pensez-vous. En sortant, il est entré dans un cabaret. Dans une pièce, on était entrain d'habiller un mort et il a bu là. Au retour, il s'est couché et presque la totalité de la famille a été décimée. Le père de mon grand-père, après s'être occupé de la naissance de mon grand-oncle, celui qui m'a élevé s'est couché et est mort lui aussi. Ce bébé-là a survécu. C'est lui qui m'a élevé pendant huit ans. Mon grand-père racontait que son oncle, celui qui avait conseillé au trisaïeul de ne pas boire, était venu instamment de la ville (située à 6 km du village) et a dit [au sujet de mon grand-père qui était considéré comme mort lui aussi]: "On ne l'enterrera pas avant deux jours". Je ne me rappelle plus très bien. C'était pas possible que la famille ait des croyances aussi dépourvues de fondement, mais [ils pensaient que] ce n'était pas possible qu'une famille s'éteigne comme cela. Effectivement, mon grand-père est revenu à la vie. Il paraît que ça arrive quelques fois. Au bout de quelques jours, il vivait. Les deux frères ont survécu. Mon grand-père avait un oncle qui était un véritable Harpagon. Il est venu dire qu'il s'occupait des deux frères avec l'idée de les exploiter Mon grand-père n'avait aucune autre possibilité de vivre autrement. Cet oncle vivait à une trentaine de kilomètres, dans les montagnes, en cultivant le millet. De 14 ans jusqu'à 20 ans passées, mon grand-père a vécu là-bas. Il travaillait très durement chez son oncle. L'oncle avait accaparé tous les écrits du grand-père lettré. Mon grand-père avait pu récupérer, je ne sais de quelle manière, la copie composée par mon arrière-arrière-grand-père lors de l'examen passé à Séoul. Il était attaché par une sorte de mysticisme à ce grimoire. Le tigre Il avait 16 ou 17 ans et il était allé dans un creux de colline, biner un champ de riz. Un tigre est venu s'installer en face de lui et s'est mis à hurler. Il était terrorisé. Il a fini par se lever et il est rentré à la maison en pleurant. L'oncle lui a demandé pourquoi il revenait: _ "Il y a un tigre. _ Comment il y a un tigre ! Il n'y a jamais de tigre là. Paresseux, c'est parce que tu n'as pas envie de travailler. S'il y avait vraiment un tigre qu'est-ce qu'est devenue la vache qui était avec toi ? Alors mon grand-père est parti en pleurant parce qu'il avait plus peur de son oncle que du tigre. Un vieillard voisin lui a demandé pourquoi il pleurait. Il a raconté sa mésaventure. Le voisin lui a dit: "Retourne tranquillement. Si le tigre voulait te faire du mal, tu ne serais plus là. Ça doit être une tigresse qui a fait son petit dans les parages. Quand une tigresse fait un petit, pendant toute l'année tout le voisinage est tranquille. Elle ne prendra pas le moindre chien. A vingt passé, il a pu se marier. Il a épousé une Kim. Je ne l'ai jamais vue. Il avait évidemment le droit de se séparer de son oncle et de fonder une famille. Il n'avait pas envie de vivre près de son oncle. Il est allé dans une autre province, celle du P'y\˜ongan du Sud, de l'autre côté de la chaîne des montagnes qui sépare les deux provinces. Dans mon enfance on cultivait les pommes de terres, l'avoine (kwiri, c'est l'avoine dont on fait les flocons d'avoine) et tout au plus le maïs. Dans les montagnes, on ne pouvait pas cultiver de millet. Mon grand-père a défriché. Dans mon enfance aussi, on allait dans la montagne, on brûlait (culture sur brûlis) une partie du bois et on cultivait des pommes de terre. Ils ont cultivé des pommes de terre et de l'avoine. Pendant plus de dix ans probablement, ils ont vécu tranquillement-là. Ils pouvaient manger suffisamment. Un jour de la 7e lune du calendrier lunaire, il me semble le 14. Il pleuvait à torrent. Mon grand-père qui avait pas mal d'expérience pensait qu'ils ne pouvaient plus rester à la maison. Il avait monté une espèce de chalet avec des rondins. On cultivait aussi du chanvre indien pour le textile. C'était une région réputée pour la culture du chanvre indien. Chaque famille cultivait son carré de chanvre. Au moment de la récolte, la famille de la plaine venait participer à la récolte et repartait avec une certaine quantité de chanvre pour faire des tissus pour la famille. Il y avait donc quatre autres personnes qui étaient là pour la récolte de chanvre. C'était la nuit, ils jouaient aux cartes dans leur chambre. Mon grand-père est allé leur dire: "Sauvons-nous, il y a du danger." Mais ils sont restés. Mon grand-père sortit de la maison avec mon père. Comme c'est la coutume coréenne, ma mère marchait derrière. Moi j'étais né, j'avais trois ans. J'étais dans les bras de ma mère, enveloppé. Nous nous sommes réfugiés sur la colline voisine, sur la hauteur. Les autres étaient restés à la maison. Ma mère pensa qu'elle avait oublié quelque chose d'important à la maison. Elle y est retournée. Elle m'a jeté dans les bras de mon père. Juste à ce moment-là, le torrent a retourné toute la maison. Malencontreusement, deux voisins ont pensé que nous étions en danger et ils ont essayé de voir s'il était possible de nous aider, nous sauver. Ils ont été emportés par le torrent. Sept personnes ont trouvé la mort. A la suite de ça, évidemment, mon père n'avait plus la possibilite de vivre et puis, d'autre part, il y avait les reproches des parents de ceux qui avaient essayé de nous sauver. On disait que j'avais des yeux différents des autres coréens. Mon oncle me disait que c'était à cause de cela que j'avais de grands yeux. Pendant des journées, les parents sont venus adresser des reproches à mon grand-père et à mon père à cause de la perte de leurs enfants. Heureusement pour moi, la famille de ma mère n'habitait pas très loin de là. J'ai été recueilli par mes grands-parents maternels. Mon grand-père a été obligé de partir de là. Ensuite, mon père est parti en Sibérie. J'y suis resté même pas un an parce que selon la coutume, ce n'était pas aux grands-parents maternels de s'occuper de moi [fils de leur fille]. Mon grand-oncle qui était pauvre mais qui vivait dans le village traditionnel de ma famille est venu me chercher. Trois souvenirs d'enfance Je me rappelle trois choses de cette époque. Je me rappelle très vaguement que mon grand-oncle avait apporté de la farine de riz collant pour me faire une bouillie. L'autre c'est que je poursuivais une personne, une jeune femme en lui demandant de me faire manger du faisan que j'avais vu dans les réserves. Alors, ma grand-mère a dit: "C'est un enfant qui a perdu sa mère, donne-lui à manger." A trois ans ça m'a bouleversé: "Perdu sa mère"... [voix assourdie, émue]. A cause de cela, j'ai eu pendant toute ma vie une sensibilité maladive. J ai eu pendant toute ma vie deux défauts la timidité, déjà que les Orientaux sont timides, j'étais le pire de tous et puis cette sensibilité, encore aujourd'hui elle ne passe pas. Il me vient facilement des larmes. Je me souviens d'avoir vu un jour un essaim d'abeilles. On essayait de recueillir le miel et d'attraper l'essaim. Comme dans la plaine, il n'y avait pas d'abeilles, je pensais qu'il n'y avait des abeilles que chez mes grands-parents maternels. J'ai été amené au village par mon grand-oncle. Malheureusement ou heureusement, mon grand-oncle n'avait pas eu d'enfants. C'était leur grand malheur. C'est pour cela quils m'ont élevé jusqu'au retour de mon père, après huit ans de Sibérie. Il y avait un autre drame qui m'est très pénible. Mon grand-oncle aussi aimait bien l'alcool. Or, mon grand-père a eu pendant toute sa vie la haine des alcooliques. C'était la dissenssion entre mon grand-père et son frère cadet. Mon grand-père circulait dans la région. Il fabriquait des nattes (totchari). Il était très habile. Il allait couper dans les marécages les joncs qu'il faisait sécher lui-même. De temps en temps, il venait chez son frère pour me voir et s'occuper de moi. L'école Sa préoccupation était de me mettre à l'école dès que je serais capable d'apprendre quelque chose. Quand j'ai eu quatre ans, je me, rappelle très bien, des circonstances aussi, il est venu pendant quelques jours et il m'a conduit chez le maître du village qui était d'ailleurs un parent de la famille Yi. J'ai commencé a ânonner les caractères chinois, heureusement, dans un certain sens. Si je n'avais pas commencé à apprendre les caractères chinois, je serais devenu très certainement l'idiot du village. Je ne pouvais pas sortir, ces gosses, qui étaient plus ou moins mes cousins éloignés, me surnommaient "yeux de boeuf". De plus, mes cheveux étaient ondulés et pas lisses comme eux. Dès que je sortais, on me fichait par terre, on me tirait les cheveux et trois ou quatre gamins étaient sur moi. C'est là aussi probablement l'explication de ma timidité. Je n'osais pas sortir. Heureusement, j'ai commencé à apprendre les caractères chinois. Dans le malheur, il y a quelque chose qui vous sauve. A ce moment-là, 95% des Coréens étaient absolument illettrés, mais la tradition de l'apprentissage des lettrés était ancrée dans toutes les familles. A l'école, un maître s'installait, accroupi et les enfants s'accroupissaient tout autour dans une pièce qui était grande comme lesdeux-tiers de cette pièce. Tous les ans, deux fois par en au printemps et en automne, des lettrés passaient, venant de la ville, pour examiner les élèves, pour voir s'ils savaient réciter quelques vers chinois ce que je faisais assez facilement. Evidemment, j'étais mal habillé, sale, mal peigné. De cette tête-là, il y a une voix qui est sortie et qui a résonné dans la salle. A partir de ce moment-là tout à cessé, les enfants m'aimaient. Un jour que j'étais sorti, un grand garçon, qui était plus fort que moi, m'a fait manger des chenilles, des vers noirs qui étaient dans les champs d'orge. Son père était plus ou moins lettré. Il apprit ça. Il m'a demandé de venir et, devant moi, il a fouetté son fils sur les mollets en le traitant d'imbécile. Mes cheveux étaient noués en natte, j'ai coupé ma natte vers 14 ou 15 ans. On avait plein de vermine dans les cheveux. C'était horrible. La soudure Evidemment, chez mon oncle, on mangeait à peu près normalement, mais au mois de juillet au moment de la soudure, il arrivait couramment de sauter des repas. On ne mangeait pas pendant un jour ou deux. Ma grande tante allait chez les voisins quémander, emprunter quelques bols. Je m'en rappelle très bien. Pour essayer de trouver quelque chose à manger, ma grande-tante m'envoyait dehors avec un panier cueillir les feuilles de n\˜umjaeng [my\˜ongaju] chénopode [patte d'oie]. Vous savez, ces plantes. J'en ai ici dans mon jardin. C'est encombrant. J'en ai mangé en France aussi. Ici, personne ne sait que c'est comestible. C'est de la même famille que les épinards. En littérature chinoise, c'est une plante très connue. Les feuilles ont une forme triangulaire, chénopode, ça peut dire patte de canard. Les feuilles sont poudrées, elles ont le goût d'épinard. Ici, les feuilles sontpetites. Dans [mon village], en plaine, ça poussait bien, sous la forme sauvage. J'essayais donc de remplir mon panier. Quand mon père est revenu de Sibérie, ce n'était pas très agréable. D'abord, il est revenu au bout de deux ans. Il était comme fiancé avec une femme. Puis, il est resté six ans en Sibérie. A ce moment-là, la famille l'a harcelé. Quand il est revenu, il s'est remarié. Il essayait de trouver des pépites d'or dans les rivières de Sibérie orientale, mais finalement, il a travaillé dans la forêt comme bûcheron. Il est revenu avec deux scies que les Coréens ne connaissaient pas, une scie passe-partout et une scie comme en France. Mon oncle avait pas mal de dettes. Mon père a payé toutes ses dettes et il n'a pas acheté grand chose et nous sommes partis de nouveau dans les montagnes, à l'endroit où j'étais né. Pendant la Guerre de Corée, on en a parlé parce que l'armée américaine avait des difficultés à évacuer un col de montagne que j'ai franchi plusieurs fois dans mon enfance. Là, on ne pouvait même pas cultiver le maïs, mais seulement l'orge, l'avoine et les pommes de terres. La famille de ma belle-mère était originaire d'un lieu situé à cinq, six kilomètres. Elle avait vécu dans ce pays et savait bien se débrouiller. Elle m'envoyait ramasser des boîtes de fer-blanc et elle en faisait des râpes. Elle râpait les pommes de terre, en extrayait la fécule et en faisait des caramels. Pendant un an, la vie était agréable. Malheureusement, c'était le moment où les Coréens essayaient de lutter contre les Japonais. Une dizaine de Coréens avait quatre ou cinq armes plus ou moins démodées. Dans ces montagnes, les Japonais ne faisaient pas de prisonniers, ils les massacraient. Pendant deux ans, nous avons pu vivre dans cet endroit. Puis, un mois de juin, je me revois encore, passant à côté du champ d'orge alors que j'abandonnais cettemaison. L'armée loyale, cest à dire les Coréens qui, sans uniforme, avec les turbans comme cela sont venus à trois ou quatre. Ils ont emmené mon grand-père et mon père parce que mon père avait rapporté de Sibérie deux fusils. Ils avaient appris que nous avions des fusils. Ils ont amenés les fusils et ils ont incorporé mon grand-père et mon père dans les troupes de la guérilla. C'était tragique parce que ma belle-mère avait à peine vingt-cinq ans et moi j'avais onze ans. Nous avons passé la nuit dans l'angoisse. Par une chance incroyable, le lendemain mon grand-père et mon père sont revenus au début de l'après-midi pour se préparer à partir. Heureusement, le chef du groupe était de sa connaissance. Ils avaient pérégrinés ensemble en Sibérie. Les Coréens qui pérégrinaient dans la Sibérie avait formé un groupe appelé les "frères loyaux" (ihy\˜ongje). Je crois qu'ils étaient trente-six. Je me rappelle très bien des brochures où il y avait les noms et l'identité des membres du groupe, leur adresse en Corée, leur âge... L'un de ceux-ci dirigeait ce groupe. C'était dans la forêt vierge encore. Le soir après le dîné, il a amené mon père sous un arbre éloigné et il lui a dit: "Ecoutez. Si j'avais le moindre espoir je ne ferais pas ça, mais nous n'avons plus aucun espoir pour lutter contre les Japonais. Nous allons perdre notre vie. Je ne peux pas oublier le lien perpétuel qui nous unit. Il faut vous en retourner, d'autant plus que votre père est âgé. Il faut retourner dès demain à la maison. Quoiqu'il arrive, ne vivez plus dans les montagnes. Quant à nous, nous fuyons. Nous allons essayer de franchir le Yalou. Il est possible que nous soyons attrapés et massacrés. Il n'est pas nécessaire que vous fassiez le sacrifice de vos vies. C'est cela cette chance extraordinaire que mon grand-père et mon père ont eu. Ils sont revenus. En une heure, nous avons fermé la maison. Nous sommes partis. Nous avons traversé le col dont on a parlé pendant la guerre de 1950, kot'osu, kot'ori qui est au bord de la grande route. De l'autre côtéde cette montagne coule un affluent du Yalou. Nous avons traversé cette rivière et nous sommes arrivés chez les parents de ma belle-mère. Le lendemain, pour rejoindre le chemin de Hamh\˜ung, nous sommes revenus à Kot'ori où mon père et mon grand-père avaient des connaissances. Ils ont raconté les événements survenus la veille. Deux gendarmes japonais étaient logés chez une personne du village, Tong Taeyon, l'un des notables du village. Les guérillas ont essayé d'attraper ces Japonais, mais ils se sont enfuis. Ils les ont cherchés dans les champs de chanvre qui étaient proches. Un jeune, qui était hardi, pénétra dans le champ de chanvre à la recherche des Japonais qui s'étaient enfuis ailleurs. Les autres lui ont tiré dessus par méprise et l'ont tué. Tong Taeyon, qui avait logé les Japonais, a reçu une balle. Heureusement, il était seulement blessé. Le lendemain, sur le chemin de retour au village familial, en descendant les plus grands cols, nous étions dépassés par des convois portant des blessés. Nous nous sommes installés dans le village. Mon père a fait le colporteur-marchand. Il allait acheter à la ville des toques, des fils. Je me rappelle à propos de mes nattes. Pour les Coréens, il fallait conserver les nattes. Il fallait défaire les nattes, les peigner. Même avant l'annexion, en 1908, 1909, on avait creé dans notre commune une école moderne dans l'un des bâtiments qui appartenait à la branche aînée de notre famille, plus aisée. Ils avaient des toits de tuiles. C'est là qu'on avait installé l'école. Mon père était très inquiet au sujet de mes cheveux. "Si tu te fais couper les cheveux, tu ne me reverras plus." Pourtant, j'ai fini par me faire couper les cheveux. J'étais tellement plus à l'aise. A ce moment-là, il fallait apprendre le japonais. L'école communale n'était pas officielle, mais il fallait suivre les programmes. L'annexion a été signée le 23 août 1910. Pratiquement, on recevait une éducation japonaise. Parfois, des Japonais venaient nous enseigner le japonais. Il y avait peu d'écoles secondaires. Il y avait trois écoles secondaires à Séoul, deux dans d'autres villes plutôt ausud et quelques écoles secondaires privées comme celle que je fréquentais à Hamh\˜ung. A Séoul, il y avait une école supérieure de droit, une de médecine, une des techniques et à Suw\˜on, l'école supérieure d'agriculture. En 1919, je suis entré à l'école de droit. Ce n'était pas pour faire des études mais pour préparer ma fuite. Nous complotions notre fuite avec un camarade qui avait participé aux manifestations du 1er mars 1919. Ce camarade était de la même promotion que moi de l'école secondaire de Hamh\˜ung. En sortant de l'école secondaire, il est entré tout se suite à l'école de droit. Il a été arrêté le 5 mars à Séoul, dans le quartier japonais, les grandes rues qu'on appelait à ce moment-là ch\˜unggogae ??? Il avait fait huit mois de prison et il y avait attrapé la gale. 83.03.23.01.B Pendant ce temps, j'étais devenu instituteur. J'avais l'idée de changer. Je suis allé tout à fait dans le Nord, presque à la frontière du Yalou. J'avais 21 ans, ça changeait tout le temps. Finalement, je ne m'y suis pas plu du tout. Je suis revenu. La famille m'attendait. On voulait me marier, c'est trop long... un mariage qui ne plaisait pas du tout. Il fallait revenir tout de même. Je suis finalement revenu. Mon grand-père, mon père, tout la famille voulait que je reste là. [La cérémonie de mariage a eu lieu, mais le mariage n'a pas été consommé.] Je ne suis pas retourné enseigner au nord à la frontière du Yalou. J'ai été recruté pour enseigner à l'école primaire de ma ville. Là aussi, il y avait toute sorte de choses qui me déplaisaient. Surtout, je ne m'entendais pas avec un collègue qui était trop pro-japonais. Je voulais changer. Un jour, en passant en ville, j'ai vu l'annonce d'un concours pour lerecrutement des commis pour le tribunal. J'ai essayé. On recrutait des commis pour les envoyer dans les succursales de district, cela correspondait au bureau d'enregistrement [du cadastre], pour les propriétés foncières. J'ai fait cela pendant un an. Pendant les vacances d'été 1919, j'ai vu mon camarade qui était de deux ans plus jeune. Il avait fait déjà une ou deux années d'école de droit. Je suis allé le voir. Il était dans un hopital tenu par les missionnaires canadiens et situé sur une colline à l'écart. Nous avons parlé de nos malheurs respectifs. Je lui ai dit: "Je n'ai pas envie de vivre ici. Tout me déplaît. Je projette d'aller au Japon." Au moment du 1er mars 1919, je travaillais dans cette administration japonaise. J'ai eu un petit accroc. Dans ce chef lieu de district voisin, je travaillais au bureau de l'enregistrement. Il y avait un chef japonais et moi j'étais le commis aux écritures. J'avais un ami qui était le correspondant du seul journal coréen qui paraissait à Séoul. Au moment du 1er mars, il se trouvait à Séoul pour des affaires concernant son journal. Un jour, il m'envoie le journal, je le défais. A l'intérieur, il y avait un paquet d'exemplaires de la proclamation de l'indépendance. Je l'ai vite caché. Quelques jours après, un jeune coréen qui travaillait comme commis à la sous-préfecture est venu me voir parce que j'étais un ancien, sorti de la même école secondaire. Je lui ai passé la déclaration de l'indépendance. Malheureusement, il y avait un policier auxiliaire coréen qui était là. Ce salaud-là, il a essayé de me fouiller. J'avais tout de suite vu que ce type était un salaud. J'ai caché tout ce que j'ai pu. Malheureusement, il est allé dans la chambre de celui à qui j'avais donné ça. Ce dernier a été arrêté pendant plusieurs jours. Heureusement, il est sorti. En sortant, il m'a dit de ne pas rester ici parce que j'étais très surveillé. C'est pour cela aussi que je me suis inscrit à l'école de droit qui avait un certain prestige. A.G. _ Ne fallait-il pas payer pour les inscriptions ?L.L. _Non, ce n'était pas la question de payer, mais il fallait vivre. Ma famille ne pouvait pas donner ça, mais pendant les vacances, je suis allé voir mon oncle qui était un peu plus à l'aise que mon père. Il vivait dans les montagnes, je lui ai soutiré des fonds en lui disant que c'était provisoire, que je voulais continuer mes études. Quand j'ai revu mon camarade sur le lit d'hopital, je lui ai dit que j'avais envie de quitter le pays, que je voulais aller au Japon pour étre plus libre. [Yoix sourde] Il m'a dit: _"Il y a mieux. On peut aller en France. Il faut que nous nous sauvions jusqu'à Changhaï. A Changhaï, il y a tout un réseau organisé. Nous pouvons aller en France. _ Je n'ai pas d'argent. _ On fera ce qu'on pourra." Pendant les études, j'étais déjà très lié à ce camarade. Dès ce jour-là, tout ce que j'ai fait ???? Nous sommes partis de Séoul le soir du 11 juin 1920 par le train du 10 heures, à la Gare de Namdaemun. Nous nous dirigions vers le Yalou. Il y a des coïncidences qui vous sauvent tout de même. Juste ce jour-la, il y avait eu à Séoul des journées d'études bibliques sayanghoe ?? et une foule de jeunes repartait de Séoul ce soir-là. La région de P'y\˜ongyang était la plus christianisée. Il y avait un temple dans chaque village. Le train était absolument bondé à tel point qu'une jeune fille a dormi jusqu'à P'y\˜ongyang la tête sur mes genoux. C'était inimaginable. La police n'avait aucune possibilité de pénétrer dans cette foule de voyageurs. Sans cela, nous étions pris. A partir de P'y\˜ongyang, nous n'étions plus tranquille, le train se vidait de plus en plus. Arrivés à la frontière nous avons été pris par un Coréen, par un policier auxiliaire coréen. Je ne m'explique pas encore sa conduite. Il nous a emmené à l'auberge. Evidemment, nous étions suspects, nous avions tousles deux le même vêtement, la même allure dans cette foule de paysans. Il logeait d'ailleurs dans la même auberge. Il nous a fait attribuer une chambre. Nous étions inquiets, mais ce qui nous a un peu rassuré c'est qu'il nous avait amené là où il logeait au lieu de nous conduire au poste de police. J'ai commencé à observer ses heures de service pendant toute la journée. Le matin, il s'absentait. Dès que nous l'avons vu partir, nous avons laissé tous nos affaires dans la chambre d'hôtel et nous sommes allés voir notre relais qui travaillait dans une boutique où l'on vendait du riz, du millet. Malheureusement, celui qui devait nous faire traverser le Yalou par le pont avait été arrêté. Catastrophe ! Nous avons discuté avec celui qui restait. Ce n'était pas un inconnu, mais tout de même. Il ne restait qu'une seule solution: essayer le lendemain matin de fausser compagnie au policier et aller vers midi au marché aux poissons. Sin\˜uiju est près de l'embouchure du Yalou, en dehors de la ville, il y avait un marché aux poissons. Heureusement, le lendemain, le type esli parti. Nous avons laissé toutes nos affaires dans la chambre et nous sommes allés nous cacher dans l'un des cabarets-bordels que les Japonais avaient installés partout. Nous avons déjeuné là. Je n'aimais pas beaucoup l'alcool, mais quand j'étais tracassé, je buvais. Ce jour-là, j'ai essayé de boire le plus possible pour me rendre libre. Impossible [de me soûler]. Nous avons vidé pas mal de bouteilles et puis nous sommes partis en essayant même de taquiner les gendarmes qui passaient sur la digue du Yalou à cheval. J'ai méme reçu un coup de fouet. Nous sommes allés au marché aux poissons. Le guide marchait bien en arrière. Nous sommes allés taquiner, les marchandes de poissons, nous disputer avec elles. Il fallait négocier avec un pêcheur chinois, qui avait une petite barque, notre traversée. Nous, avons payés chacun trois dollars chinois, des dollars en argent. Quand nous sommes arrivés de l'autre côté du Yalou, il y avait dix mêtres de boue à traverser. Nous avons encore négocié avec le Chinois. Chacun a payé encoretrois dollars de plus pour qu'il nous transporte dans un endroit sec Heureusement, il y a eu une autre coïncidence: pendant la traversée, il pleuvait fort. Le pêcheur chinois a ouvert les parapluies. Nous étions cachés par les parapluies, les gendarmes japonais n'ont pas pu nous voir. Un an après, ça n'aurait pas été possible, le territoire de la Mandchourie passait sous l'influence japonaise. Le soir même nous nous sommes arrivés a Moukden, la Shenyang actuelle. Il y avait là un autre relais, une de nos connaissance qui guidait les gens en dehors de Moukden, jusqu'à une petite station qui se trouvait à trois heures. Nous sommes arrivés à Changhaï le 20 juin. Nous avons traversés tout le Shantung jusqu'à Nankin et a Nankin, nous avons pris par le bac. Mon ami s'appelait Han Suryong (Hann Sieo\˜u Long Schliessfach 78 Würzburg). De Changhaï, nous sommes partis vingt et un Coréens sur le même bateau [le Porthos] par l'intermédiaire de l'organisme qui a fait venir l'illustre Chou Enlaï en France. *[Société Franco-chinoise (ou sino-française) d'Education, qui recommandait les jeunes Chinois pour le voyage. M. Li a reçu un passeport chinois sur lequel était inscrit comme lieu de naissance: Shanghai.] Je me demande même si nous n'avons pas voyagé sur le même bateau parce qu'il est venu lui aussi en 1920 en France. Il y avait trois bateaux. Un bateau des Messageries maritimes avait déjà transporté des Chinois et quelques Coréens de Changhaï à Marseille. Quand nous sommes arrivés à Changhaï, le deuxième bateau venait juste de partir. Notre bateau a quitté Changhaï le 7 novembre. Si Chou Enlaï est parti à la fin de l'année 1920, nous avons voyagé par le même bateau. Sur le bateau, il y avait plus de trois cents Chinois et seulement vingt et un Coréens. Il y avait un professeur Chinois de l'Université de Tientsin qui avait beaucoup de bienveillance et qui venait bavarder avec nous. Cet organisme a été créé à la fin de la Première Guerre mondiale parce que la France avait besoin de main d'¦uvre. On faisait venir beaucoup de Chinois par l'intermédiaire del'Association culturelle Franco-chinoise. Il y avait pas mal d'étudiants Chinois qui profitaient de ce bateau. Tous les étudiants chinois pouvaient prendre ce bateau et ceux qui n'avaient pas les moyens pouvaient trouver du travail. Nous avions un passeport de complaisance, un passeport chinois. Je n'ai pas changé de passeport [voix forte]. Je m'appelle Ll LONG-TSI. En 1949, un de mes anciens camarades, que j'ai connu ici et avec qui j'étais suffisamment lié est devenu sous Syngman Rhee un personnage de marque. Il se nommait Kong [prononcé con]. Il est venu ouvrir en 1949 la première légation sud-coréenne à Paris. Il a cherché à savoir où j'étais. A ce moment-là, nous habitions à Sceaux. Par l'amitié d'autrefois, je l'ai fréquenté. Je suis allé le voir. Il avait installé son bureau au Grand Hôtel du Quai d'Orsay, à côté de la Gare d'Orsay. Il avait réuni les Coréens de Paris pour commémorer le 1er mars 1919. J'y suis allé. Sa façon d'agir ne m'a pas plu. Il avait laissé sur une table le couvert ?? pour le chef d'Etat Syngman Rhee que je n'aimais pas. Ça me déplaisaît. Je ne disais rien. Au moment de partir, il a appelé son secrétaire et lui a dit de changer mon passeport. Mon humeur a sursauté. J'ai dit: "Tant que la Corée restera divisée en deux, je ne prendrais passeport du Sud, ni du Nord. C'était la rupture avec ce Kong. Les parents de mon ancien gendre, qui est tunisien, tenaient un boutique de diététique. Un jour, mon gendre m'a rapporté des prospectus sur le ginseng. Ce Kong était devenu directeur d'une affaire de ginseng. Il était originaire de Kaes\˜ong qui était un grand centre de culture du ginseng. Dans les années soixantes, j'ai eu pendant un moment des difficultés pour circuler avec ce passeport. J'ai même envisagé de me faire naturaliser. Dans les années 50, j'ai même été appelé au tribunal correctionnel pour le renouvellement de ma carte d'identité. Je suis allé à la préfecture de police. Un commissaire m'a reçu et m'a demandé pourquoije ne me faisais pas naturaliser. "Vous avez toutes les conditions requises, m'a-t-il dit: marié avec une française, des enfants français, des diplômes universitaires français. Vous n'auriez pas ces embêtements." Je lui ai dit: "Comment changer mon faciès oriental ?" En 1960 une de mes filles a épousé un Tunisien. Son mari, ingénieur des Ponts-et-chaussées a été directeur du port d'Alger plusieurs années, deux ou trois ans après l'indépendance de l'Algérie. Ma fille, institutrice, était partie en coopération. Elle voulait inviter toute la famille à passer les vacances à Alger et à Tunis. J'ai essayé d'avoir le visa. Ni l'Algérie, ni la Tunisie ne m'ont accordé de visa. J'ai le passeport de la Chine nationaliste. Tous mes enfants y sont allés. A ce moment-là, je me suis demandé si pour la facilité du transport, du voyage, je ne ferais pas mieux de prendre la nationalité française. J'avais un vieux camarade qui travaillait au Ministère de la famille et de la population. Je lui ai un jour écrit pour lui demander quelle était la possibilité pour moi d'être naturalisé. Il est venu jusqu'ici. Je lui ai demandé quelles étaient les conditions. Il m'a dit: tu as toutes les conditions sauf une, la plus difficile: tu es trop vieux pour faire ton, service militaire". Bon, n'en parlons plus. Heureusement, depuis quelques années, depuis cinq ou six ans, ils m'accordent facilement [mon permis de séjour]. Il suffit d'aller à la préfecture du Val de Marne. Il y a trois ans, je suis allé en Hollande. L'année dernière, nous sommes partis quinze jours en Italie. Maintenant, je n'ai aucun problème. Le grand-père de Bernard est un, musicien connu. Il y a trois ans, à Rotterdam, à Amsterdam, on a donné des grands concerts de Koechlin pendant plusieurs jours. Je suis trop bavard.Pratiquement, je n'ai pas connu d'autres régions que ma région parce que j'étais très pauvre. Même en circulant à pied, il fallait payer l'auberge, ce que je ne pouvais pas faire. Je connais ma région. Après l'école secondaire, je suis allé jusqu'à la frontière du Yalou. J'ai traversé le Yalou, j'ai vu la ville chinoise de l'autre côté, c'est tout. J'ai enseigné dans un district voisin pendant un peu plus d'un an. Puis, je suis allé à Séoul. C'est tout. je n'ai rien vu d'autre. A Séoul, je n'ai pas pu aller à Suw\˜on, ni du côté de Kaes\˜ong. J'avais envie d'aller voir Inch'\˜on, mais je n'avais pas de sous. L'école était gratuite. On ne payait pas. Il y avait une parcelle de terre qui appartenait à la communauté et qui était allouée au maître d'école. Il cultivait comme il pouvait. Parfois, il demandait aux parents d'élèves de l'aider à cultiver. S'il était un peu plus aisé, il utilisait un ouvrier agricole. Lui-même, il y travaillait s'il en était capable. Ce n'était pas le cas de mon premier maître de chinois. Quand on a créé l'école, ..., Il y a eu un traité de protectorat du Japon sur la Corée signé en 1907, je crois. C'est la conclusion de la guerre Russo-japonaise. Je déteste les Américains. Depuis que les Japonais ont ouvert leurs portes aux Américains, les Américains les ont toujours favorisés et ça continue. Par contre, les missionnaires américains étaient des gens très bien qui ont beaucoup contribués à l'évolution du peuple coréen et qui ont beaucoup favorisé les Coréens. Je n'ai jamais été chrétien, mais je suis reconnaissant à la famille Underwood, la famille de l'inventeur de la machine à écrire, qui a été l'une des premières famille de missionnaires à créer des écoles. De même, il y a quelques années le R.P. Sinnot s'est démené à un tel point qu'il a été chassé du pays sous Pak. Par contre officiellement, ça été toujours mauvais. Le traité de Portsmouth, le traité de paix russo-japonaise. Je sais à peu près ce qui s'est passé. Roosevelt, Taft, avaient une mentalité raciste. Les Anglais ont efficacement aidé lesJaponais pendant les batailles navales. Quand la flotte de la Baltique, après avoir fait le tour par l'Afrique, est arrivée. Les Anglais ont renseigné les Japonais sur la marche de la flotte. Les Japonais les attendaient au détroit de Shimonoseki. Les Américains ont organisé le traité de paix de Portsmouth et en même temps, ils n'ont pas voulu humilier les Russes devant ces Jaunes. Ils ont manigancé pour que les Russes ne payent pas d'indemnités de guerre. Alors que traditionnellement, dans le premier article, le perdant devait payer des indemnités, les Russes n'ont rien payé. En compensation, ils ont donné toute liberté aux Japonais pour faire de la Corée ce qu'ils voulaient. Je me rappelle très bien. Le Ministre des Affaires étrangères, chef de la délégation japonaise, quand il est descendu à Yokohama, il a été malmené par la foule parce qu il n'avait pas fait payer d'indemnités de guerre. J'ai un ami qui est malheureusement mort, tué par la clique de Syngman Rhee en décembre 1948, chez lui. C'est le véritable fondateur du Tonga Ilbo, Chang T\˜oksu. Quand j'ai quitté la Corée, il était déjà sorti de la prison. Il a créé le Tonga Ilbo en janvier-février 1920. Il en était le rédacteur en chef. Un notable coréen, Pak Yongho était le président du journal, parce que pour amadouer les Japonais il fallait quelqu'un. Chang T\˜oksu est venu à Paris en 1928 avec le directeur de cette époque, Kim Songsu, un riche du Sud qui finançait le journal. Ils sont arrivés à Paris. C'est moi qui les ai conduit à l'Opéra, ... Chang T\˜oksu était sorti de l'Université Waseda à Tokyo avant d'aller en prison. C'était l'un des membres fondateurs de la Nouvelle Jeunesse à Changhaï avec Yo Unhy\˜ong et un autre. Tous les trois ont été assassinés par Syngman Rhee. Un autre, Yi Kwangsu, un grand romancier coréen a fini sa vie en Corée du Nord. Tous les trois, ils ont créé l'Association pour la nouvelle Corée à Changhaö. Chang T\˜oksu avait eu la mission de rentrer en Corée. En arrivant, il a été arrêté à Inch'\˜on, à ladescente du bateau. Il m'a raconté tout cela. Il est resté au moins un an en Angleterre. A Columbia, il voulait faire une thèse de doctorat sur le problème du chômage en Angleterre. Quand il venait à Paris, il réservait une chambre à l'hôtel de Senlis où je logeais rue Malebranche au 7e étage. Nous bavardions quand nous étions réunis parce que je faisais ma popote dans ma chambre. Nous mangions le riz. J'étais très lié. Quand nous sommes arrivés à Marseille, la plus grands majorité essayait de partir aux Etats-Unis. Parmi eux, il y avait Ho, celui qui est devenu le Maire de Séoul, qui a organisé le départ de Syngman Rhee en 1960 et qui a été président intérimaire. A Changhaï, nous étions logés dans la même chambre. Il voulait aller aux Etats-Unis pour devenir pasteur, mais il n'avait pas de passeport. Il pensait passer par le Mexique, ce qu'il a dû faire. Une grande partie des étudiants voulait aller aux Etats-Unis. Ceux qui pouvaient financer leur séjour en Europe, comme mon camarade Han Suryong, sont partis en Allemagne. Han Suryong a fait des études économiques assez sérieuses à Wurtzbourg jusqu'en 1924 ou 1925. Jusqu'en 1924, ils ont vécu largement parce que le cours du mark s'effondrait. L'été 1922, je suis allé passer l'été en Allemagne, à Wurtzbourg. Il y avait tout un groupe qui avait fait le voyage sur le même bateau. Parmi eux, il y avait l'un de mes meilleurs amis, un ami dont le village natal était distant de dix kilomètres du mien. Il était musicien. Sa famille était très riche. Les autres le harcelaient: "Puisque tu peux payer, pourquoi laisses-tu Li à Paris faire un travail de domestique ? Il ne peut même pas apprendre le français." Moi, je ne voulais pas aller en Allemagne. Mais, il a accepté de financer mes études à Wurtzbourg. Je suis parti de Paris en quittant mon poste de valet de chambre chez une dame rue deBerri. Je ne sais pas si vous avez connu mon vieil ami Haudricourt aux Hautes Etudes ? Il me disait: "Oh ! vous avec votre sale caractère". J'ai un peu de ça. Je suis très timide et pas courageux du tout, mais je suis très obstiné. Quand j'ai quelques idées dans ma tête, il n'y a rien à faire. Quand j'ai commencé à vivre aux dépens de ce camarade, ça ne me plaisait pas du tout. Alors, j'ai abandonné. D'autres camarades étaient très généreux, ils me donnaient un billet d'une livre sterling puisque le mark s'effondrait. J'ai vécu en Allemagne comme cela. En 1924, on a réévalué ?? le mark, tous les Coréens, même ceux qui avaient de la famille très fortunée ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins. Parmi eux il y avait un camarade qui faisait des études pour devenir professeur à l'Université Y\˜onhi à Séoul. Après 1945, il est effectivement devenue professeur à l'Université Y\˜onsei [Chong S\˜okhae??]. Mon camarade Han Suryong et celui qui est devenu professeur à Y\˜onhi sont venus en France. Je les ai aidés à chercher un travail. Il a été valet de chambre chez une danseuse assez célèbre, Loïe Fuller [1869-1928] qui habitait du côté de Montmorency. Il était persuadé que c'était chez elle qu'il avait attrapé la tuberculose. C'est possible parce qu'il paraît que Loïe Fuller toussait. Il est arrivé à Paris en 1925. Il est resté jusqu'en 1928. Il a été hospitalisé. En 1922, en revenant de Berlin, je suis rentré comme garçon de service dans une clinique privée, rue Boileau. C'est grâce à cela que j'ai pu apprendre le français. Il y avait d'autres Coréens qui y travaillaient. L'un d'entre eux, Kim, était arrivé par le bateau suivant, au mois de janvier 1921. Après, j'ai appris qu'il avait été ministre de l'éducation nationate de Syngman Rhee. Il était entré avec un autre camarade, qui est mort malheureusement, comme garcon à cette clinique. Avant de partir enAllemagne, Je visais un travail dans cette clinique. J'ai fini par l'obtenir et en revenant de Berlin, le soir même, le 22 décembre 1922, j'y suis entré. J'ai travaillé jusqu'en 1927. Nous étions trois ou quatre Coréens et nous travaillions à mi-temps. Ils nous appréciaient beaucoup. Cette clinique a produit au moins trois licenciés de l'Université. *[M. Li a été licencié ès Lettres (1934-35). Il préparait un certificat après l'eutre: certificats de littérature, d'histoire de l'art, d'ancien français, d'histoire. En 1935-36, il a commencé à préparer une thèse sur Anatole France et le XYIIle siècle. Pour cela, il avait une carte de lecteur à la bibliothèque. Aprés, il s'est dirigé vers la phonétique puis vers la linguistique. Il a suivi pendant dix ans les coure de M. Guillaume à l'Ecole pratique des Hautes Etude. Il connaissait bien M. Fouché, directeur de l'Institut de phonétique de Paris. En 1942, il fit la connaissance de Haudricourt et de Martinet. On l'a encouragé à écrire une grammaire coréenne.] C'est comme cela que j'ai pu commencer à aller à l'Alliance française, et étudier. En 1928, mon camarade Han Suryong n'était plus en état de travailler. Grâce aux soins à l'hopital, il vivotait, mais il lui fallait un travail pour pouvoir vivre. Que faire ? J'ai quitté la clinique. En travaillant à la demi-journée, je gagnais 100 f. par mois, nourris logé et blanchi et 15 f. pour la boisson, c'était la tradition. Avec 115 f., je n'avais pas la possibilité de l'aider. Alors, j'ai décidé de quitter la clinique et cette situation providentielle pour moi. J'avais à peine commencé mes études à la Sorbonne. J'ai cherché un travail. J'ai été valet de chambre de Marcel L'Herbier, le cinéaste qui est mort l'année dernière ou il y a deux ans. J'avais lu une annonce dans Le Figaro. J'étais payé 600 f. avec cela je pouvais aider mon camarade. Evidemment, lui aussi savait qu'il dépendait de moi et il a décidé de retourner au pays. Il est parti le mois de décembre 1928. Il n'a pas vécu longtemps, il a dû mourir en 1936 de la toberculose. Un jour de 1930, j'ai un recu une lettre tragique. Il avait contaminé sa femme et sa femme était morte. Il étaitdésespéré. J'ai commencé à déchiffrer l'alphabet coréen sur la bateau. Un Coréen, qui était venu au moment de la conférence de Versailles, m'avait écrit ce que je devais demander dans les restaurants: les pommes de terre,... Je vois encore son écriture. En Allemagne, je baragouinais. Au début, je faisais toutes sortes de métier: terrassier à Laon, à Reims. Nous sommes arrivés le 14 décembre à Paris et j'en suis parti le 20. J'étais seul. Les autres avaient tout de même quelques sous. Normalement, chacun devait posséder 3.000 f. en arrivant. C'est pour cela qu'un certain nombre d'entre nous sont allés au lycée de Beauvais pour essayer d'apprendre le français [dans le carnet: Chung Sup Lee, Lycée Felix Faure, Beauvais]. Moi, je n'avais pas un sous parce que mes 3.000 f. étaient garantis par mon camarade. Je ne voulais pas garder cet argent, je le lui ai rendu. Il m'a tout de même donné trois cents francs. C'est pour cela que j'ai été le premier à partir au travail. Je suis parti à Montbard. Je suis arrivé à l'usine métallurgique le 20 décembre à Montbard. Elle allait fermer pour les congés. Ils ne voulaient pas me prendre. J'ai été recruté au mois de Janvier. Je ramassais des ferrailles sous la pluie, à la main et je chargeais des wagonnets. Au bout de deux mois, j'étais chômeur. Je suis revenu à Paris. J'ai rencontré un autre camarade et nous sommes allés à Suippes, une région dévastée. Il y avait là une quinzaine de Coréens qui étaient venus de la Russie et qui travaillaient là pour ramasser des obus et tout ça. Il y avait des Coréans qui vivaient dans les baraquements. Je suis donc allé à Suippes. Au printemps, avec le Coréen qui parlait bien le russe et qui était instituteur quelque part en Sibérie nous sommes allés chercher du travail et nous en avons trouvés à Laon pour faire des terrassements pas loin de la gare. Il fallait charger la terre creusée avec la pelle. Ma pelle n'atteignait pas les wagonnets qui étaient trop hauts. On était payé à la tâche, au nombre de wagonnets. Mes compatriotes qui avaient traînés pendant des années en Russie avaient la force et travaillaient très vite pour gagner le plus possible. Moi, je devais être très gênant. Mon compatriote qui parlait russe trouva à Laon par une relation, un travail dans une briquetterie. Celui qui devait faire la briquetterie était le neveu d'une parisienne qui avait été recrutée comme secrétaire du bureau coréen au moment de la conférence de Paris, Madame Mathia.?? J'ai travaillé pendant quelques jours, puis j'ai appris qu'un de mes compatriote qui travaillait à Saint Denis avait envie de venir me rencontrer à Reims. J'ai fait l'échange contre son poste de chandelier ?? Un directeur de verrerie logeait des apprentis verriers, une dizaine de garçons de 14 ou 15 ans. Je suis entré pour faire le service de table. J'ai fait toutes sortes de métier. J'ai demandé à mon camarade Han Suryong de voir aprés son retour ce que devenait mes fréres et soeurs qui ne sont que mes demi-frères et demi-soeurs [Une grosse enveloppe contient les lettres envoyées par H.S.] 83 03 23 O2 A Je n'ai vécu pas très longtemps avec mes parents. Evidemment, quand j'étais à l'école secondaire, mon père faisait le commerce du colporteur Il était souvent absent. Je vivais avec ma belle-mère. Je n'étais pas souvent à la maison parce que j'étais un peu têtu. Quand j'ai fini l'école communale du village, mon maître, qui m'aimait beaucoup m'encourageait lui aussi à me présenter au concours de l'Ecole normale d'instituteur de Séoul. Il n'y avait pas d'autre école pour moi. Je n'avais aucune autre possibilité, mais l'obligation de servir pendant dix ou quinze ans me déplaisait. La famillem'avait donné de l'argent pour passer la nuit à la ville et me présenter le lendemain à la capitale de la province pour concourir. La veille, je suis allé me faire photographier. J'ai passé une nuit blanche. Qu'est-ce que je dois faire ? Si je passe le concours et que je réussisse, d'un côté, c'est agréable d'aller à Séoul. Ma tête... Je ne me suis pas présenté à l'examen. Au retour, dans la famille, mon maître qui m'aimait beaucoup me disait: "Mais qu'est-ce que tu veux être ? La famille n'a même pas de terre à cultiver. Je vais essayer d'aller à pied à l'école secondaire de la ville. Il y avait six kilomètres pour aller et autant pour le retour. Finalement, c'est ce que j'ai fait. Tous les matins, je partais à l'aube. Une fois, j'ai failli rester dans la neige. C'était au mois de janvier. La rentrée avait lieu le trois janvier. Ue me lève, il neigeait. Déjà, en sortant de la maison, la neige arrivait jusque là. J'ai persisté à y aller. Je suis arrivé en classe vers onze heures, cinq heures de route. Mes pieds étaient gelés. Mes chaussons coréens me collaient à la peau. Le professeur m'a dit surtout n'approchez pas du calorifère. Il fallait rentrer. Le temps avait changé. Vous savez le vent coréen, la tempête de neige. Je suis parti de la ville. Après avoir traversé le long pont, je devais suivre jusqu'à notre village une digue étroite où une seule personne pouvait passer. Le neige cinglait. J'avais entendu dire qu'il ne fallait jamais s'asseoir. Une fois assis, c'était la fin. Je ne me suis pas assis. Je suis revenu à la maison. [sanglots dans sa voix] Mon grand-père a dit le mot juste, malgré son ignorance totale de tout ce qui était réflexion: "C'est ton ardeur intérieure qui t'a sauvé." J'ai fait ce trajet pendant quatre ans. La cinquième année, je me suis arrangé avec ma belle-mère pendant l'absence de mon père. J'avais des camarades qui pouvaient me loger et j'ai pu payer les frais de logement et de nourriture pendant la dernière année. Mon endettement,...malheureusement, c'est ça mon regret... J'ai laissé mourir mon grand-père sons le revoir, [silence]... Je n'ai pas eu beaucoup de relations affectives avec mon père. Par contre, mon grand-père [sanglots], c'est l'homme le plus malheureux que je n'ai jamais vu de ma vie. Il parait qu'il est mort en 1921. La famille m'a écrit qu'il se demandait quand j'allais revenir. Il demandait quand étaient les vacances. Il savait que je pouvais revenir pendant les vacances. Une autre chose m'a favorisé un peu dès que j'ai commencé à apprendre le japonais. Mon cousin issu de germains au 6e degré appartenait à la branche aîné du lignage. Il était le maire de notre commune à la fin de l'ancien régime et sous les Japonais. Dès que j'ai commencé à lire un peu de chinois classique, il m'a dit: "Chez toi, il n'y a pas de place pour étudier, quand tu veux travailler, viens dans notre maison". C'était la manifestation de la solidarité familiale. Evidemment, je l'ai aidé un peu quand il y avait un agent japonais. Je faisais l'interprète. Ce cousin n'avait pas tellement de considération pour mon grand-père qui étiait plus âgé que lui, mais dès que j'ai commencé a être un peu près de ce cousin, ce dernier est allé l'inviter à une petite réception qui avait lieu. Mon grand-père lui a répondu: "Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse avec un vêtement comme cela et ma tête comme cela". Il y avait aussi de l'entêtement chez mon grand-père. yoksim Il me disait toujours: "Il ne faut pas avoir "l'ambition". Il ne faut pas avoir de yoksim [avidité], le coeur noir. En coréen c'est mal traduit alors que c'est simplement la volonté de faire quelque chose. Il me disait toujours que pour vivre, il ne fallait pas avoir de yoksim. Pour lui, c'étaitle fait de tromper, d'être avide d'argent, tout ça. En vieillissant, je n'ai jamais abandonné cette éducation de vieux lettré. Je me rappelle, la première fois, quand j'avais quatre ans (en coréen on disait cinq ans), il m'a conduit chez le maître, un lointain cousin. Moi, je ne voulais pas aller à l'école. vaccination A ce moment-là, c'était le moment de la vaccination, vaccination des plus rudimentaire contre la variole (udu). J'avais une peur atroce de tout ce qui concernait la médecine, surtout des aiguilles. Il était question de vaccination et d'aller à l'école. On m'a dit que je ne pouvais pas refuser les deux. Tu fais la vaccination ou tu Yas ohez le maître ? J'avais tellement peur du médecin, que j'ai préféré aller chez le maître. [rire] Je suis allé chez le maître. Le maître avait une autorité absolue en ce temps là et dans un coin de la pièce, il y avait des bottes de fouets comme cela. Des parents apportaient des bottes de frêne, de ssari (lespedeza) qui montent tout droit. Vous voyez les déviations de langage, d'idées surtout chez les gens peu évolués. Le père apportait les bottes de fouets au maître en lui disant: "Tapez-le. Tapez-le". Ils croyaient que c'était ça qui faisait entrer le savoir. Deux jours après, le maître me dit: "Viens avec moi". Evidemment, je n'ai rien dit. Il m'amène chez le vaccinateur. J'ai été obligé de me faire vacciner. Je conserve encore la trace, la cicatrice de ce vaccin. Ce que j'ai vécu, les Coréens d'aujourd'hui n'en savent rien. J'ai vécu la jonction de l'anclenne Corée immuable [avec le monde moderne]. J'ai vu des changements plus ou moins tragiques. Des dizaines de milliers d'hommes, sont morts dans les montagnes, tués par les Japonais. Ils ne faisaient pas de prisonniers. Tous ont été massacrés. J'ai horreur de toute guerre quelque soit le régime, quelqu'en soit le prétexte. L'histoire de la Corée me dégoûte.Aujourd'hui, les Coréens me bomberdent [de brochures]: du Nord, du patriotisme. Evidemment, je n'ai pas oublié la Corée. Je participe [à l'Association Nation coréenne...] Je ne peux rien faire. J'entends mal. Je vois mal. Dans les réunlons, je ne comprends rien. Je participe parce qu'ils me le demandent, pour ne pas les décourager. Quand il s'agit de parler franchement de ce qui était notre pays, je suis content, mais je ne suis plus du tout coréen. Dans les brochures qui viennent de l'Allemagne ou de Tokyo ou même de l'Amérique, ils parlent de ce traite de Pak Ch\˜ongh\˜ui ou encore Ch'\˜on Tuwan en l'appelant Monsieur le Président, Monsieur le Président. Ça ne me va pas, parce que c'est le titre qui les subjugue. En arrivant à Changhaï, j'ai rencontré tous les autres sauf Syngman Rhee qui était à Hawaï. J'ai passé une matinée à Paris avec lui, en 1932 probablement. Par hasard, un jour, j'ai reçu une lettre signée Syngman Rhee. Voyez-vous, les Coréens sont ignorant dans ce domaine. Dans ces brochures, ils ont tous écrit i, comme on prononce. Cette diversité des manières d'écrire le nom qui se prononce i. Ceux qui vont en Amérique Ree, en Allemagne Lie, ici Li. Le plus cocasse c'est Syngman Rhee. Ce type, qui était anti-japonais jusqu'auboutiste, est le seul qui ait adopté la prononciation japonaise. Il ne le savait pas probablement. Avec un "h" ! Il y a encore d'autres manières d'écrire ce nom. Syngman Rhee Syngman Rhee [1875-1965] était pro-américain depuis longtemps. C'était naturel puisqu'il avait fait ses études avec eux. Par malheur, il a eu un prestige considérable sur les Coréens en 1920 et même après. Il est l'un des premiers sortis du Paejae haktang, l'école secondaire créée par les missionnaires américains. Il est parti aux Etats-Unis, il avait presquetrente ans l'année de ma naissance. Il a été d'abord à l'Université de Washington puis à celle de Princeton où justement il a connu Wilson, le futur président des Etats-Unis. Il a fait sous sa direction une thèse de doctorat sur le problème de la loi internationale. Il avait déjà son ambition. En 1920, quand j'étais en Corée, les Coréens disaient que Syngman Rhee était l'ami de Wilson. Changhaï 1920 A Changhaï, les jeunes, plus ou moins respectueux des vieux, dénombraient les doctrines des chefs. Il y avait Yi S\˜ongman uiim t'ongch'i tongnip, c'est à dire l'indépendance sous mandat américain. Il avait déjà suggéré ça. An Ch'angho aussi avait longtemps vécu aux Etats-Unis, An Ch'angho y\˜ons\˜ol tongnip, l'indépendance par le discours d'An Ch'angho parce qu'il était éloquent. C'était la première génération de dirigeants. Yi Tonghwi était de ma région. Vous avez compris que le régionalisme étaiti vraiment horrible chez les Coréens. Yi Tonghwi ch\˜oltae tongnip, l'indépendance absolue de Yi Tonghwi qui s'opposait à l'indépendance sous mandat de Syngman Rhee. Yi Kwangsu avait fait ses études à Tokyo puis il a commencé à écrire. C'était le premier écrivain coréen [en han'g\˜ul]. Yi Kwangsu puttae tongnip, l'indépendance par le pinceau de Yi Kwangsu. Y\˜o Unhy\˜ong [1885-1947] était le président de l'association des Coréens de Changhaï. Il est mort en 1945, après la libération de Séoul, soi-disant assassiné par les communistes, mais pour moi, c'est incontestablement par la clique de Syngman Rhee. Syngman Rhee était un représentant typique de la fin du régime de la dynastie Yi, non seulement de la dynastie Yi, mais de toute l'histoire de la Corée: assassinats, massacres. A Séoul, pendant le dernier siècle de la dynastie des Yi, il y avait les luttes de factions à la cour: les gens du Nord, du Sud, de l'est, de l'ouest.Après, les factions se sont subdiviséss. C'était stupide. A la cour, ils n'avaient pas grand chose à faire. Ils bavardaient et sortaient des textes de classiques chinois, de Mencius ou de Confucius. Ils discutaient des cérémonies de deuil. Sous mots couverts, on accusait l'adversaire. Le dignitaire disgracié partait en exil dans les îles du Sud. J'ai appris cela par un de mes camarades de l'école secondaire dont le grand-père avait été autrefois Hamh\˜ung musa [milsa??], l'émissaire du roi qui circulait dans les province en se déplaçant incognito. Il conduisait aussi les condamnés à l'exil, dans les îles. Il était de ma région et il racontait ce qu'il avait fait. Quand un dignitaire était condamné à mort, c'est lui qui était chargé de lui faire boire le poison. ... Le chant des dragons volants C'est un texte que j'ai lu. Au point du vue linguistique, c'est important, c'est une sorte de chanson de geste sur les fondateurs de la dynastie Yi: Les chants des dragons volants, parus en 1450 environ.. Ce sont les exploits des fondateurs de la dynastie Yi. Yi S\˜onggye a vécu longtemps dans ma région, à Hamh\˜ung et un peu au sud. Actuellement, il y a tout un combinat industriel qui est installé. Il y a quelques années André Fontaine a visité l'ancien palais de Yi S\˜onggye. Il a eu plusieurs femmes qu'il a épousé successivement et dix enfants. Au moment où il a renverse la dynastie précédente, qui ne valait guère mieux, il est devenu roi. Il avait l'intention de faire de son plus jeune fils, Pangs\˜ok son successeur. Les autres fils étaient jaloux et ils ont tués Pangs\˜ok. Yi S\˜onggye était très fâché. Il régnait depuis sept ans. Il est revenu à Hamh\˜ung, dans ce palais qui subsiste encore. Il y avait méme le pin qu'il avait planté. Il était complètement couché, soutenu par des étais. Yi S\˜onggye est venu vivre là. Un de ses fils est monté sur le trône et a envoyé des messagers pour qu'il revienne. L'expression Hamh\˜ung ch'asa, l'émisssire à Hamhung ihung y\˜oji?? désignait le dignitaire envoyé pour inviter le roi à revenir à Séoul. Le roi était un excellent archer et il tirait sur les émissaires qui venaient de Séoul. Tous les Coréens connaissent cette expression qui évoque le départ de quelqu'un qui ne revient pas. Cette chanson de geste a été écrite en chinois classique, puis on l'a traduite en coréen. Le roi avait promulgué l'écriture coréenne en 1446 et ils ont pu écrire avec cet alphabet. Je critique tout ce qu on fait les Coréens, mais devant ça, je suis tombé en admiration. Ecriture créée de toute pièce que l'on n'avait jamais enseigné obligatoirement. Ce texte est écrit en coréen mélangé de nombreuses expressions chinoises, mais c'est remarquable. J'ai appris une chose qui m'est très utile. L'érudit (qui a rédigé ce texte) avait fouillé dans la littérature chinoise, dans l'histoire de toute la Chine. En Chine, c'est pareil: le frère qui tue le frère, il y a même le fils qui tue le père pour avoir le trône. Vous avez été dans l'ancienne capitale de Silla, à Ky\˜ongju ? Quand on pense que Silla a détruit Paekche et Kogury\˜o avec l'aide des T'ang. Silla a cédé l'autre côté du Yalou aux Chinois. Lignage Je n'ai aucune envie d'être le descendant de Chinois. Selon le registre de notre lignage, notre premier ancêtre en Corée serait le général commandant des T'ang venu aider le Silla à unifier le pays. C'etait un fratricide. Ils ont tués leurs frères. Notre ancêtre serait l'adjoint de ce commandant et il serait resté en Corée. Je n'en sais rien. Les Coréens sont tous menteurs, au point de vue historique.Kong, mon ancien camarade qui est venu ouvrir la légation à Paris avait le même nom que Confucius. Les Coréens sont allés chercher un arrière petit-fils de Confucius pour avoir la race de Confucius en Corée. La langue coréenne, c'est la plus laide que je puisse imaginer. A.G. _ Pourquoi ? L.L. _ C'est une hybridation. A.G. _ La française aussi. L.L. _Tous ces écrits ancien, c'est plus ou moins un jargon d'un escolier limousin d'un Rabelais. Il utilise des mots latins en français tandis que le coréen et le chinois sont tout à fait d'autres langues. ... En entendant les discours prononcés à Tokyo, aux Etats-Unis, ou en Allemagne, j'ai eu l'impression que la prosodie d'élocution est la même chez les Coréens à l'étranger, tant chez les clandestins que chez ceux qui ont changé de nationalité. Pour moi, ces discours étaient presque incompréhensiibles. Mme Li _ Il n'a rien compris. Il connaissait l'histoire, mais il n'a pas compris les dialogues (il s'agit d'un film video que nous avons vu chez un ami coréen dans lequel il est question de l'assassinat d'un diplomate Japonais vers 1905) La langue L.L. _ Au moment où j'ai quitté le pays et même après, dans les années 1930, nous parlions entre Coréens nos dialectes en les modifiant à peineparce que nous savions que tel mot régional était incompréhensible aux autres. Quand j'ai vécu à SéouI, c'était pareil, même à l'école de droit. Evidemment, il y a certains accents très forts surtout du Ky\˜ongsang, du Ch\˜olla. Je n'ai jamais compris le parler du Ch\˜olla. A Paris, quand je travaillais à la clinique, j'entre et je vois un Japonais qui m'attendait. C'était un jeune frère un homme très connu en ce temps là en Corée: An Chaehong. Il a participé au journal Tonga Ilbo. Les types sont assez différents, les gens du Ch\˜olla ressemblent beaucoup au Japonais, les gens du P'y\˜ongan plus aux Chinois, de mon côté [au Nord-est], c'est un peu différent. Je pense que nous sommes de la même souche, à part les élément chinois qui ne manquent pas dans le Nord-est, nous appartenons au même groupe linguistique ouralo-altaïque. Les fondateurs de la dynastie Silla viennent de Mandchourie. Les historiens coréens n'en parlent pas. Le premiers rois de Silla s'appelaient Kan, certains hauts-fonctionnaires aussi. J'ai une petite histoire publiée en Corée en 1922 à Séoul. Vous avez entendu parler de Tan'gun qui est un personnage un peu mythique. Après il a eu ??S\˜okchin sur lequel on n'a pas de détails. Il était installé en principe sur cet immense territoire de la Mandchourie. Il y a plus de trente ans, j'ai trouvé une petite brochure d'occasion, un tirage à part d'une revue de géographie de la Royal Society de Londres dans lequel, un francais a fait une communication sur l'origine des Mandchous. Il avait fouillé dans toute l'histoire de Chine et cité des dizaines de noms qui correspondent à ceux de l'histoire de la Corée. Au point de vue linguistique, le Tchouchee [Ulc??] est tellement ressemblant. Ils étaient une partie du royaume de S\˜okchin. Nous somme dans un méli-mélo avec les Mongoles, les Mandchous... Ces nomades qui vivaient aussi de cueillettes et de pêches.